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De l'intelligence au HPI et vice versa

La communauté des chercheurs s’accorde désormais à fixer le seuil du Haut Potentiel Intellectuel (HPI) à un Quotient Intellectuel (QI) supérieur ou égal à 130.


Ainsi placé, le seuil à 130 sous-tend une certaine rareté et positionne les individus HPI dans une minorité. Ils représentent environ 2,28% de la population globale, tandis que 68,26% de la population oscille autour du QI moyen de 100, allant d’une moyenne basse fixée à 85 à une moyenne haute de 115.


Le QI est considéré comme une mesure fiable de l’intelligence (par ex., Schneider & McGrew, 2012 ; Terriot & Ozenne, 2015 ; Weschler, 2011). Ce lien suppose deux choses : d’une part que les personnes ayant un QI élevé auraient une intelligence élevée, et d’autre part que nous disposions d’une définition consensuelle de l’intelligence pour comprendre ce que cela veut exactement dire. Or, à ce jour, ce n’est pas exactement le cas.


Depuis Alfred Binet et sa définition de l’intelligence donnée en 1908[1], de nombreuses tentatives ont été faites pour tenter d’être plus précis, moins centré sur la seule fonction de l’intelligence. Parmi ces tentatives, la plus marquante est probablement celle de l’American Psychological Association (APA), la plus puissante organisation de psychologues au monde, qui comptait 117 000 membres en 2016. L’APA a réuni en 1996 un comité d’une vingtaine de scientifiques éminents dans le domaine de la recherche sur l’intelligence. Piloté par Ulrich Neisser, un des pionniers de la psychologie moderne, cette task force avait parmi ses missions de s’accorder sur une définition consensuelle du concept scientifique d’intelligence. Dans leur papier de synthèse, ils ont proposé que cette dernière se caractérise comme l’aptitude globale et variable entre les individus « à traiter des idées complexes dans la vie de tous les jours, à s’adapter efficacement à leur environnement, à apprendre de l’expérience, à s’engager dans des raisonnements variés et à surmonter les obstacles en réfléchissant ».


C’est donc cette aptitude dont rendrait compte le QI. Faisons cette hypothèse. La définition de l’APA reste quand même insuffisante, par exemple pour aider un enseignant à repérer un élève HPI dans sa classe. Entre autres choses, cette définition ne marque pas de limite entre ce qui est moyen, supérieur et très supérieur. C’est pourquoi d’autres chercheurs, de leur côté, ont tenté de donner une définition du HPI, mais avec là encore avec une limite de taille : la diversité des profils et l’impossibilité de réduire les personnes HPI à cette seule caractéristique.


La proposition qui est la plus souvent citée est celle contenue dans un rapport d’experts publié en 1993 pour le Ministère de l’Education américain. Ce rapport décrit les enfants HPI comme des présentant des performances exceptionnelles ou montrant le potentiel de réaliser des performances à un niveau remarquablement plus élevé par comparaison avec des pairs du même âge, du même niveau d’expérience et disposant d’un environnement similaire. Ce rapport d’experts poursuit en leur attribuant de disposer de hautes capacités dans les domaines intellectuel, créatif et/ou artistique, ou encore de posséder une capacité peu commune de meneurs d’équipes et de projets. Ils seraient issus de tous les groupes culturels, de tous les niveaux socio-économiques, et leur talent pourrait s’exercer dans tous les domaines couverts par les activités humaines.


Oui mais voilà, tous les HPI ne présentent pas non plus des performances exceptionnelles, quoi qu’ils puissent théoriquement en être potentiellement capables (faisons aussi cette hypothèse). Et à l’évidence, des personnes non HPI ont produit et produisent encore de grandes réalisations dans de très nombreux domaines, incluant ceux cités par les experts américains.


Alors comment peut-on donner aux personnes HPI des éléments vraiment utiles pour nourrir leur quête de compréhension d’eux-mêmes ?


La proposition faite en 2010 dans un article scientifique par deux chercheurs, Mrazik et Dombrowski peut peut-être répondre en partie à cette question. En les qualifiant d’« out of the box thinkers », ils ont proposé d’envisager les personnes HPI comme des personnes qui pensent en dehors des sentiers battus, c’est-à-dire capables de faire des analogies à des niveaux d’abstraction supérieure. Ils auraient ainsi en moyenne une capacité supérieure à considérer un problème depuis plusieurs perspectives simultanées, et de manière originale.

De leur côté, Tan, Barbot, Mourgues & Grigorenko, ont établi en 2013 un lien assez proche en associant le HPI et la compréhension ou la production de métaphores. Ce lien rend également compte d’une capacité accrue à produire des liens d’analogie abstraits entre les concepts.

Il est fort possible que cette manière plus originale d’envisager le HPI soit aussi plus susceptible d’aider les psychologues à les accompagner, en offrant une clé de lecture plus ouverte et moins réductrice de ce qui les caractérise. En mettant de côté la comparaison induite par toutes les définitions précédentes (ils sont plus ceci, plus cela…), les personnes HPI pourront peut-être aborder leur vie et leur futur en gagnant en sérénité, sans sentir peser sur leurs épaules cette obligation de réussite portée par toutes les définitions derrière lesquelles on a voulu les ranger.

 

Sources :

Mrazik, M., & Dombrowski, S. C. (2010). The Neurobiological Foundations of Giftedness. Roeper Review, 32(4), 224‑234.


Neisser, U., Boodoo, G., Bouchard, T. J., Boykin, A. W., Brody, N., Ceci, S. J., … Urbina, S. (1996). Intelligence: Knowns and Unknowns. American Psychologist, 51(2), 77‑101.



Tan, M., Barbot, B., Mourgues, C., & Grigorenko, E. L. (2013). Measuring metaphors: Concreteness and similarity in metaphor comprehension and gifted identification. Educational & Child Psychology, 30(2), 89–100.


Terriot, K., & Ozenne, R. (2015). Wechsler intelligence scale for children, v version (WISC-V). ANAE - Approche Neuropsychologique des Apprentissages chez l’Enfant, 27(134), 95‑102.

Schneider, W., & McGrew, K. (2012). The Cattell-Horn-Carroll model of intelligence. In: D.


Flanagan & P. Harrison (Eds.), Contemporary intellectual assessment: Theories, tests, and issues. New York: The Guilford Press.


Weschler, D. (2011). WAIS-IV : échelle d’intelligence de Weschler pour adultes (Vol. 4ème édition). Paris: ECPA.


 

[1] (“Elle [l’intelligence] n’existe que parce qu’elle sert à quelque chose : elle sert à nous adapter au milieu physique de la nature et au milieu moral de nos semblables.“ (Binet & Simon, 1908).

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