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Photo du rédacteurNathalie Boisselier

Le burn-out : quand le travail se fait souffrance

Le nouveau mal du siècle est certainement psychologique et s'exprime à travers le burn-out, le syndrome d'épuisement professionnel lié au stress qui épuise les défenses même des personnes les plus courageuses.


La souffrance au travail a planté ses racines profondes dans le monde moderne. Elle survient quand les contraintes rencontrées au quotidien dépassent les capacités pour y faire face. Les symptômes qui en émergent envahissent tout, y compris la vie privée. Cette souffrance corrode l’estime de soi, la confiance en soi et le sentiment de pouvoir faire face avec efficacité en avançant un jour de plus.


En consultation, les personnes n’ont pas assez de larmes et de mots pour exprimer leur impuissance. Hommes et femmes rapportent ne plus pouvoir penser au travail sans avoir la boule au ventre, des nausées et la sensation que leur poitrine se serre en les empêchant de respirer. Ils expérimentent des insomnies, de l’irritation ou de la colère, parfois une augmentation la consommation de tranquillisants, de tabac, d’alcool ou de cannabis qui permettent de détourner l’esprit de l’angoisse. Les pensées qui tournent en boucle pour essayer de rendre le lendemain moins terrifiant entraînent une diminution de la concentration et un repli sur soi. Des scénarios se répètent inlassablement pour imaginer quel nouveau problème va survenir et rendre la journée du lendemain insupportable, comment river le clou ou éviter la prochaine brimade du supérieur hiérarchique, comment faire face aux e-mails et aux coups de téléphones incessants…


Voilà le lot quotidien des personnes qui souffrent de burn-out, ou syndrome d’épuisement professionnel. Certains en arrivent même à faire des détours s’ils doivent passer en voiture devant leur lieu de travail quand ils sont de repos. Ils n’ont plus d’énergie, plus de place intellectuellement pour participer à la vie de famille, entendre parler des anecdotes ou des petits tracas de la vie quotidienne, ou sortir avec des amis, rire et discuter de tout et de rien. Ils ne trouvent plus ni plaisir, ni goût à rien. Les valeurs liées au travail s’effondrent et ils entrent dans une véritable crise personnelle, sur fond de dévalorisation et de doutes sur leurs propres compétences.


Comme double peine, les victimes du stress au travail se sentent souvent coupables. Coupables de ne pas pouvoir faire face (« Je devrais pouvoir prendre sur moi »), coupables de ne pas trouver les bons mots dans des situations de conflit ou d’humiliation (« Je n’ai pas assez de répartie »), coupables du risque de perdre leur emploi (« Qu’est-ce que je ferai si je suis au chômage ? ») et coupables de ne plus être disponible pour leurs proches. En fait, même s’ils se rendent compte des vraies raisons de leur détresse et parviennent à les reconnaître (surcharge de travail, harcèlement, conditions de travail insuffisantes), l’effet de la comparaison sociale anéantit toute raison. Ils pensent que si leurs collègues y arrivent, ils devraient y arriver aussi. Pourtant, il n’est pas certain que leurs collègues y arrivent vraiment et y arriveront toujours, ou même qu’ils subissent les mêmes pressions qu’eux. C’est pourquoi ils tardent souvent à rechercher de l’aide auprès d’un professionnel de santé, médecin ou psychologue.


Les causes de l'épuisement professionnel

Trois grandes familles de causes cumulatives peuvent être à l’origine d’un syndrome d’épuisement professionnel : le harcèlement, la surcharge de travail et l’usure compassionnelle.


Le harcèlement a ceci d’odieux qu’il attaque les personnes dans leur intégrité et dans leur dignité. Les agresseurs, — et ce terme est pesé —, ont développé un art de l’insulte sans témoin, de la remarque insidieuse et blessante. Ils savent malheureusement faire loupe sur une caractéristique sensible ou déjà sujette à discrimination. Le sexe, l’âge, l’orientation sexuelle, l’appartenance ethnique, le surpoids, les « défauts » physiques, une erreur même minime commise dans le passé… Rien n’échappe à cette violence dont les limites sont sans cesse repoussées. Ces méthodes ont toujours un but inavouable et bien sûr illégal. Les plus courantes visent à obtenir une lettre de démission pour s’éviter les frais d’un licenciement ou à arracher des faveurs sexuelles (ou se venger si elles n’ont pas été obtenues). Quand la violence verbale ne suffit pas, d’autres méthodes tout aussi indignes peuvent s’ajouter à la panoplie des agresseurs : bousculade présentée comme une maladresse, menaces plus ou moins voilées aux autres employés pour isoler la personne et empêcher ensuite d’éventuels témoignages.


La surcharge de travail a ceci d’insidieux que beaucoup d’entreprises la connaissent mais la valident comme une « conséquence inéluctable du monde moderne ». Elle se nourrit de la sur-communication et n’épargne personne. Même un ouvrier sur un chantier a un téléphone portable dans sa poche et tout le monde trouve naturel que son employeur dispose de son numéro. Etre joignable à toute heure et en tous lieux peut sembler un progrès, mais est-ce bien certain ? Le cerveau humain n’a pas évolué pour supporter la pression des sur-sollicitations qui lui sont imposées. E-mails incessants, appels téléphoniques les yeux rivés sur un écran, notifications, conduire dans le trafic. Tous ces stresseurs s’additionnent à des exigences de travail de plus en plus élevées : chiffres à atteindre, nouveaux clients à trouver, productivité, critiques de l’entreprise sur internet à éviter… Là encore, il y a violence et le plus grave est qu’elle est acceptée par tous jusqu’à ce qu’un grain de sable se mette dans les rouages et déborde les capacités de résilience de la personne : un changement dans la vie privée, l’arrivée d’un « petit chef », une maladie même passagère qui occasionne une fatigue…


L’usure compassionnelle est liée à l’organisation de certaines institutions et à des métiers spécifiques, ceux pour lesquels nous avons l’habitude de dire qu’une « vocation » est nécessaire : infirmiers, médecins, psychologues, travailleurs sociaux, etc. Le concept de fatigue compassionnelle est apparu dans la littérature infirmière anglo-saxonne pour désigner une forme d’usure professionnelle assez proche du burnout. Elle se manifeste suite au contact prolongé avec la souffrance d’autrui et conduit la personne qui en est victime à développer divers symptômes tels que la colère, la dépression ou l’apathie. L’apathie se traduit par une fatigue qui renvoie à la surcharge émotionnelle face à l’impossibilité d’agir sur les souffrances rencontrées. L’usure compassionnelle s’accompagne d’un sentiment d’impuissance, de confusion et parfois même du sentiment d’abandon de la part des soutiens institutionnels.

Une reconnaissance du burn-out au niveau mondial

Malgré ce constat terrible, il n’existe a pas de réel consensus sur la souffrance psychologique au travail. Dans le DSM-5 qui est la classification de référence des troubles mentaux pour les professionnels de santé au niveau mondial, le burn-out n’est pas répertorié en tant que tel. Celui-ci peut s’apparenter soit à un trouble de l’adaptation, soit à un état de stress post-traumatique, soit à un état dépressif.

Fort heureusement, une avancée importante vient d’avoir lieu pour redresser ce manque et gagner en précision. Le burn-out, ou syndrome d’épuisement professionnel lié au stress, a enfin été ajouté à la liste de la CIM-11, qui est l’autre classification internationale de référence, celle-ci éditée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).


Cette décision, qui repose sur les conclusions d’experts du monde entier, a été prise par les états membres de l’OMS qui étaient réunis à Genève entre le 20 et le 28 mai 2019 dans le cadre de l’assemblée mondiale de l’organisation. Dans la CIM-11 qui rentrera en vigueur le 1er janvier 2022, le burn-out est décrit comme « un syndrome […] résultant d’un stress chronique au travail qui n’a pas été géré avec succès ». L’OMS ajoute également que le burn-out « fait spécifiquement référence à des phénomènes relatifs au contexte professionnel et ne doit pas être utilisé pour décrire des expériences dans d’autres domaines de la vie ».

Des chiffres alarmants

En validant à ce niveau d'autorité que le stress professionnel peut avoir des conséquences aussi bien physiques que psychologiques, il va être plus difficile de prétendre que le burn-out n’est pas une maladie professionnelle, comme l’avait fait Muriel Pénicaud, la ministre du travail en 2018. C’est d’autant plus important que la souffrance psychologique causée ou aggravée par le travail est un mal en constante augmentation. Entre 2007 et 2012 en France, les taux annuels de prévalence montraient qu’elle était passée de 2,3 à 3,1% dans la population salariée féminine et de 1,1 à 1,4 % dans la population masculine. La souffrance au travail concerne donc deux fois plus les femmes que les hommes. Durant la même période, la probabilité de signalement d’une souffrance psychique en lien avec le travail augmentait avec l’âge chez les hommes comme chez les femmes. Elle augmentait également avec la catégorie sociale, selon un gradient allant des ouvriers vers les cadres.


Un syndrome complexe

Selon le guide de la Haute Autorité de Santé (HAS) paru en 2015, le burn-out se manifeste par un « épuisement physique, émotionnel et mental qui résulte d’un investissement prolongé dans des situations de travail exigeantes sur le plan émotionnel ». Il est différent d’une dépression car il disparaît la plupart du temps pendant les vacances. Les recherches scientifiques, notamment celles de Christina Maslach, ont permis de concevoir le burn-out comme un processus de dégradation du rapport au travail à travers trois dimensions : l’épuisement émotionnel, une perte d'empathie envers autrui (collègues, clients, etc.) et la diminution du sentiment d’accomplissement personnel au travail.


Le syndrome d’épuisement professionnel se traduit donc par une érosion à la fois de l’engagement, des sentiments et du sentiment d’adéquation entre avec le poste occupé. Ainsi, la personne épuisée émotionnellement voit le cynisme s’installer et entre dans une véritable crise personnelle. Elle vit son travail comme difficile, fatiguant, stressant, avec une impression d’avoir tari la plupart de ses ressources physiques et émotionnelles.

Dans les cas les plus extrêmes, elle peut se trouver dans un état physique et psychologique tel qu’il devient impossible de poursuivre l'activité professionnelle ; ce qui peut être vécu comme une rupture, un écroulement soudain, alors que des signes avant-coureurs existaient.

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