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Les adultes HPI et les grandes décisions de vie

Des chercheurs ont suivi pendant 20 ans des adultes HPI pour étudier année après année leur satisfaction dans la vie au regard de leurs grandes décisions.

Les études scientifiques concernant les enfants et les adolescents HPI sont nombreuses. Elles le sont beaucoup moins concernant les adultes. Ce constat en poche a motivé une équipe de chercheurs réunis autour de Kristin Perrone-McGovern à observer un groupe de 57 adultes vivant aux USA (25 hommes et 32 femmes) qui étaient tous des étudiants brillants. De 1988 à 2008, c'est-à-dire pendant 20 ans, ils les ont interrogés régulièrement à partir de la fin du lycée. Chaque année, les chercheurs leur ont envoyé des questionnaires à compléter concernant leur carrière professionnelle, leur vie privée et leurs grandes décisions de vie. Lors de la 20ème année, ils leur ont enfin demandé de faire un point sur les deux décades écoulées et de partager leur point de vue concernant les grandes décisions de vie qu’ils avaient eu à prendre. L’ensemble des résultats collectés a été publié dans une revue scientifique en 2011.

La notion élargie de "carrière"

Pour ancrer leurs travaux, les chercheurs en psychologie ont besoin d’un cadre scientifique, c’est-à-dire d’une théorie selon laquelle interpréter les résultats qu’ils obtiennent. En l’occurrence, Kristin Perrone-McGovern et ses collègues se sont référés pour leur étude à la perspective proposée par Donald Super en 1980. Selon ce psychologue, la carrière des individus est à considérer à travers un ensemble de rôles sociaux tenus tout au long de la vie. Ces rôles incluent le travail, l’éducation, la famille, la communauté et les loisirs. Ainsi, les individus s’épanouiraient et mettraient en œuvre les conceptions qu’ils ont d’eux-mêmes à travers ces différents rôles sociaux. De plus, il existerait des stades développementaux à travers lesquels ils progressent généralement au cours de leur vie. A chaque stade, Donald Super a associé des tâches et des grandes décisions de vie. Quatre stades chronologiques ont ainsi été proposés, chacun d’eux disposant de trois phases ou étapes spécifiques :


Kristin Perrone-McGovern et ses collègues (2011) n’ont pas exploré tous les stades théorisés par Super (1980) puisque les adultes HPI qu’ils observaient avaient tous entre 35 et 40 ans à la fin de leur étude. Ils se sont donc focalisés sur les deux premiers stades (Exploration et Etablissement). Ce qu’ils ont découvert cadre cependant avec ce à quoi il est possible de s’attendre chez des étudiants brillants.


Le stade de l'Exploration

Les principales préoccupations des participants HPI lors de ce stade allant de 14 à 25 ans étaient de décider d’aller ou pas à l’université, de choisir laquelle et dans quelle filière s’inscrire en fonction de leurs centres d’intérêts. A posteriori, la plupart des participants déclaraient se féliciter des décisions qu'ils avaient prises dans ces domaines. Tous ou presque rapportaient avoir réussi leurs études, au moins avec l’obtention d’un diplôme de niveau BAC+5. Dans ces conditions, il est cohérent de lire que leur décision de s’engager dans un cursus académique long avait significativement et positivement contribué à leur niveau de satisfaction globale. Ce n’est qu’à la fin de leur période d’Exploration, c’est-à-dire durant l’étape d’Implémentation, que les adultes HPI déclaraient s’être plus particulièrement préoccupés de leur vie amoureuse. Leur diplôme d’études supérieures en poche, la plupart ont décidé de s’engager et souvent de se marier. A ce niveau, les résultats sur leur bonheur étaient mitigés, ce qui est intuitivement compréhensible ; tout le monde ne réussit pas sa vie amoureuse à 25 ans. Ils étaient à l’évidence moins partagés quant aux conséquences de leurs choix professionnels. C’est dans ce domaine où ils déclaraient plus fréquemment avoir obtenu les meilleurs niveaux de satisfaction et de réussite (par ex., « J’ai trouvé un métier que j’adore »).


Le stade de l'Etablissement

Lors du stade de l’Etablissement, Perrone-McGovern et ses collègues (2011) continuent de présenter des résultats intuitivement cohérents. Les adultes HPI que les chercheurs étudiaient étaient ainsi à cheval entre la poursuite de buts personnels et professionnels. Pour ce qui est de la satisfaction dans la vie, tout dépendait en conséquence de ce qu’ils avaient pu construire. Ceux qui s’étaient mariés et étaient heureux en ménage tiraient leurs plus grandes satisfactions de leurs enfants (par ex., « J’adore ma famille. Il n’y a rien de plus satisfaisant que de lire l’amour dans les yeux de ses enfants »). A ce moment-là, certains éprouvaient même un sentiment de « normalité » qui était nouveau pour eux. Un participant déclarait par exemple qu’il lui avait été difficile d’être “anormal“ ou désynchronisé d'avec ses pairs pendant ses années d’université, mais que cela avait été plus facile une fois les études terminées et qu’il était très heureux d’être marié. Ce résultat ne signifie pas une perte de l’importance de la carrière professionnelle, mais simplement que ce n’est pas ce qui rendait les adultes HPI les plus heureux à cette époque de leur vie, ce dont ils tiraient le plus de fierté et de satisfaction. Du côté professionnel, justement, l’étape de la Consolidation était marquée par de grands choix ou la réorientation de leur carrière. Un participant rapportait ainsi que tout en adorant le Droit, il avait choisi d’aller l’enseigner à l’université plutôt que de poursuivre sa carrière d’avocat dans le privé. D’autres avaient choisi de changer complètement de métier. Quoi qu’il en soit, ils affirmaient généralement que leur décision leur avait profité en termes de satisfaction professionnelle et de réussite. Il apparaît donc bien que les adultes HPI restent des personnes qui ont besoin de défis à relever, qu’il s’agisse de leur vie personnelle comme de leur vie professionnelle.


Comme on peut le constater, il n’est pas certain que les adultes HPI se distinguent réellement des autres dans les grandes décisions qu’ils sont amenés à prendre aux étapes clés de leur vie. Ce qui les différencie certainement le plus renvoie à leurs capacités cognitives exceptionnelles. Ces capacités leur permettent dans l’ensemble de pouvoir se fixer des buts professionnels élevés et de les atteindre, surtout lorsque ces buts requièrent de faire des études longues et réputées difficiles. Les réussites qu’ils obtiennent ensuite les amènent plus souvent à s’épanouir dans leur travail, et donc à inclure plus souvent ce domaine à l’évaluation subjective qu’ils peuvent faire de leur bien-être et de leur niveau de satisfaction générale. Par rapport aux personnes obtenant des résultats plus modestes et dont les carrières sont moins satisfaisantes au regard de leurs aspirations, il est probable que la satisfaction professionnelle puisse dans une moindre mesure compenser les déceptions ponctuelles que les HPI pourraient rencontrer dans les autres domaines (amoureux, familial, amical…).


La meilleure et la pire décision

A la fin de leur étude, Perrone-McGovern et ses collègues (2011) ont demandé à leurs participants de faire un point sur les vingt années écoulées depuis leur sortie du lycée et d’indiquer quelles étaient, selon eux, la meilleure et la pire décision qu’ils avaient prise durant cette période.


• La meilleure décision. De manière étonnante, ce n’était pas dans le domaine professionnel que les adultes HPI situaient la meilleure décision qu’ils aient jamais prise, mais dans le domaine personnel. Elle renvoyait le plus souvent à leur engagement amoureux et à leur décision de se marier. Ils rapportaient ainsi le plus souvent que cela avait débouché sur un mariage heureux et stable dont ils estimaient qu’il avait augmenté leur sentiment global de satisfaction dans la vie.


• La pire décision. Les opportunités manquées étaient ce qui marquait le plus cette catégorie. Mais encore une fois, c’était la vie personnelle qui était le plus souvent citée par les adultes HPI qui avaient participé à l’étude. Par exemple, l’une d’elles déclarait : « Nous n’avons pas adopté une petite fille qui vivait chez nous. Avec mon mari, nous étions tellement persuadés d’être seulement une famille d’accueil provisoire que nous n’avons même pas envisagé cette possibilité ».

Si se marier avait eu pour la plupart des conséquences heureuses, ce n’était pas le cas pour tout le monde. Dans ce cas, se marier était considérée comme la pire décision jamais prise. En conséquence, une relation de couple décevante ou encore le divorce étaient considérés comme ce qui avait le plus affecté leur bonheur. Si, à nouveau, ce résultat apparaît comme peu spécifique et non-limité au HPI, ce qu’indiquent ensuite les chercheurs pourrait l’être plus. En effet, ce sont généralement les mauvaises décisions liées au travail qui diminuaient le plus le sentiment de satisfaction global chez les adultes HPI. Ce résultat, qui a classiquement été retrouvé dans cette population dans d'autres études, relativise chez eux l’importance de la vie privée comme principal (voire unique) contributeur au bonheur.


Un conseil pour la route

La partie certainement la plus originale de l’étude de Kristin Perrone-McGovern et ses collègues (2011) est d’avoir finalement demandé aux participants de leur étude quels conseils ils pouvaient donner aux plus jeunes, ceux débutant leur vie d’adulte. Il s’agissait pour eux de partager les leçons qu’ils avaient tirées à ce stade de leur existence et ce qu’ils en avaient appris.


Rester cohérent, studieux et ouvert

Le conseil qui revenait le plus souvent tenait en une phrase : « Fixez-vous des objectifs pour le futur qui collent avec vos centres d’intérêts actuels, mais restez ouverts à toutes les possibilités et n’ayez pas peur de changer vos plans de carrière ». Le deuxième conseil qui revenait le plus souvent concernait le bien-être personnel et le sens de l’identité : « Sachez ce que vous voulez de la vie et connaissez-vous vous-même plutôt que laisser les autres vous dire ce que vous devriez être ». Le troisième conseil avait trait à l’éducation, comme par exemple : « Allez à l’école autant que vous le pouvez. N’arrêtez jamais d’apprendre ». Dans ce domaine, les adultes HPI interrogés mettaient l’accent sur le choix d’une école et d’une filière qui soient en phase avec leurs valeurs et leurs intérêts (« Choisissez une école et une filière dont vous pourrez être fiers et qui vous donnent l’opportunité de faire ce que vous aimez le plus »). Ils insistaient également sur l’importance de poursuivre des études supérieures (« … cela vous servira tout au long de votre vie ») et d’étudier sérieusement à chaque niveau (« Prenez le lycée au sérieux. Cela vous procurera des bases solides non seulement pour entrer à l’université mais aussi dans votre futur métier »).


Choisir le plaisir plutôt que l'argent

Concernant la carrière professionnelle, les adultes HPI conseillaient le plus souvent de la choisir en fonction de leurs aptitudes et leurs intérêts plutôt que pour l’argent. Un des participants le résumait ainsi : « Quarante heures de travail par semaine représentent une grosse partie de votre vie, autant que vous aimiez ce que vous faites ».


Trouver la bonne personne

Dans le domaine de la vie amoureuse, le conseil le plus courant donné aux plus jeunes était de finir d’abord leurs études et de rencontrer plusieurs partenaires avant de prendre un engagement à long terme. Par-dessus tout, il leur semblait important de rechercher une personne partageant les mêmes intérêts et valeurs. Ils insistaient également sur le respect mutuel comme clé d’une relation amoureuse satisfaisante et durable et encourageaient une communication dans le couple fondée sur l’honnêteté et l’échange.


Cultiver l'amitié

Finalement, dans le domaine personnel, les participants encourageaient les jeunes adultes à prendre soin d’eux (physiquement et psychologiquement) et à se ménager du temps seul pour soi. Ils conseillaient aussi de prendre le temps et de faire des efforts pour créer et entretenir des relations amicales ou dans le travail. Comme le rappelait l’un d’eux : « Il ne faut jamais considérer l’amitié comme acquise, elle demande des efforts de part et d’autre ». Les efforts à consentir comprenaient selon eux particulièrement le fait d’être compatissant, à l’écoute, généreux et honnête, en traitant les autres comme ils voudraient être traités.


Si l’étude de Kristin Perrone-McGovern et ses collègues (2011) étaient limitée due au nombre de participants et au fait qu’ils avaient tous au départ été choisis parmi des étudiants obtenant les meilleurs résultats, elle ouvre une fenêtre passionnante sur le quotidien et la richesse intellectuelle des adultes HPI. Une telle étude mériterait d’être conduite auprès d’adultes HPI qui ont eu moins de chance et ne se sont pas retrouvés dans des conditions de pouvoir réaliser leur plein potentiel. Comparer les deux populations permettrait de découvrir s’ils ont pu rebondir et construire une vie qui les satisfasse et leur permette eux aussi de faire un constat aussi positif que ceux interrogés ici.

 

Sources

Perrone-McGovern, K. M., Ksiazak, T. M., Wright, S. L., Vannatter, A., Hyatt, C. C., Shepler, D., & Perrone, P. A. (2011). Major life decisions of gifted adults in relation to overall life satisfaction. Journal for the Education of the Gifted, 34(6), 817-838.


Super, D. E. (1980). A life-span, life-space approach to career development. Journal of Vocational Behavior, 16, 282-298.

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