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Photo du rédacteurNathalie Boisselier

Pourquoi nous aimons autant manger

Des milliers d'années d'évolution nous ont programmés pour faire des réserves en cas de pénurie, en privilégiant les systèmes qui nous poussent à manger davantage au détriment de ceux indiquant la satiété.

Dans le cerveau, il existe deux systèmes de neurotransmetteurs[1] différents qui rendent agréable l’acte de manger : les peptides opioïdes endogènes (appelés endorphines) et les endocannabinoïdes. Les endorphines augmentent le plaisir des sens associé à la nourriture, et consommer des aliments riches en gras et en sucre stimule leur libération. Cette petite hormone nous permet de trouver succulent ce qui se trouve dans notre assiette et assure surtout que nous ne nous arrêtions pas de manger trop vite. Mais son rôle n’est pas d’influencer notre décision de manger, ce qui pose un problème important pour le traitement du surpoids. En effet, les médicaments qui bloquent l’action des endorphines (les fameux « coupe-faim ») réduisent seulement le plaisir de consommer des aliments sucrés ou riches en matières grasses. Mais ils ne réduisent pas la sensation de faim. Or, quand on a faim, on ne pense qu’à manger. Cela veut dire que les pensées associées au fait de trouver de la nourriture restent présentes et même creusent un sillon dangereux (« Dès que possible, mange ! »). Arrêter de consommer ces médicaments pousse donc non seulement à recommencer à manger, mais encore à manger davantage pour constituer des réserves au cas où une nouvelle pénurie surviendrait.

Vous reprendrez bien un peu de dessert…

En atténuant la sensation d’avoir assez mangé, les endorphines nous poussent à consommer toujours plus d’aliments agréables au goût. Il n’y a qu’à voir comment nous nous comportons lorsque nous nous retrouvons à proximité d’un buffet à volonté. Nos comportements changent et nous nous mettrons à manger plus que de raison. Peu importe la politesse qui voudrait qu’on s’éloigne pour permettre aux autres d’accéder à la nourriture. Nous ne parvenons pas à cesser de manger, même si nous sentons notre ventre plein.


Mais pourquoi un tel comportement ? Les scientifiques parlent d’un phénomène appelé “analgésie d’ingestion“ qui implique les endorphines et dont la fonction est de nous faire continuer à manger. Même si c’est devenu désagréable, que le bouton du pantalon est prêt à craquer ou que la petite robe noire marque un arrondi peu seyant au niveau de l’abdomen. Il se produit comme une sorte d’anesthésie à toute douleur consécutive au trop-plein de nourriture. L’analgésie d’ingestion fonctionne en libérant des endorphines (qui sont des opiacés…) dans notre cerveau et notre corps, de telle sorte à bloquer toutes les sensations douloureuses que nous pourrions percevoir pendant que nous mangeons les plats que nous aimons. C’est pourquoi il nous est possible de “manger sans faim“, de reprendre une part de spaghettis bolognaise supplémentaire et même de prendre un dessert après un repas plantureux. Nous devenons quasiment insensibles à la douleur de continuer à manger. Plus encore, nous pouvons devenir agressifs si quiconque tente de s’interposer entre vous et un plat convoité. De toute façon, si vous en venez aux mains, votre organisme inondé d’endorphines atténuera la douleur des coups que vous pourriez recevoir en essayant de défendre votre place au buffet.


La faute à Darwin

Mais alors, qui blâmer ? Personne, si ce n’est l’évolution. Les humains ont évolué dans un monde où la nourriture était rare, difficilement accessible et compliquée à conserver. Il fallait la cueillir ou la chasser sur le moment, puis la consommer sur place. Notre héritage génétique nous contraint donc à consommer le plus possible et à chaque occasion, dès que nous en avons la chance. De plus, nous avons appris à privilégier les aliments riches, comme le gras et le sucre, qui peuvent être rapidement transformés en énergie ou stockés pour un même usage ultérieur. C’est pourquoi les comportements changent devant un buffet. Des gens pourtant d’un naturel doux et pacifique peuvent par exemple se mettre sans vergogne à faire un barrage de leur corps pour interdire l’accès du buffet aux autres. Question de survie.


Des études scientifiques ont montré que les humains mangent plus lorsqu’ils sont en présence de beaucoup de nourriture et lorsqu’ils ont à disposition une nourriture variée (d’où le danger des placards et des réfrigérateurs garnis comme des rayons de supermarchés), particulièrement si elle est riche en sucres et en gras. Peu importe notre résolution à manger moins au prochain repas ou les conseils de modération, notre besoin physiologique de consommer de bonnes choses jusqu’à satiété les dépasse. Parce que c’est ainsi qu’est câblé notre cerveau.


Tous accro au cannabis ?

Est-ce qu’avoir pris trop de poids nous conduit à changer nos habitudes ? La plupart du temps, la réponse est non. La recherche suggère que les personnes ayant un fort surpoids ont des niveaux élevés d’endocannabinoïdes endogènes (les endocannabinoïdes sont des produits chimiques qui ressemblent à la marijuana) dans le sang et le cerveau. Leur corps induit un état constant de petit creux en baignant leur cerveau dans ces neurotransmetteurs endogènes du cannabis. Comme la marijuana, les endocannabinoïdes participent aussi au plaisir de manger des aliments sucrés. Toutefois, ils n’ont aucun effet sur notre aversion pour le goût de certains aliments. Par exemple, si vous détestez manger du chou ou des céleris, fumer de la marijuana ne vous encouragera pas à les aimer.


Le cerveau est capable de se récompenser lui-même d’avoir consommé suffisamment de calories pour assurer sa survie en libérant les deux neurotransmetteurs dont nous venons de parler, à savoir les endorphines et les endocannabinoïdes. Mais le système de la récompense est aussi mis à contribution. A chaque fois que nous consommons un aliment riche en sucre, notre cerveau nous rétribue en libérant de la dopamine dans son centre de la récompense. Le message est simple : « Tu aimes cet aliment, consomme en plus et plus souvent ! ». Il se passe la même chose en présence de marijuana qui contient des cannabinoïdes : beaucoup plus de dopamine est libérée en réponse à une même quantité de nourriture riche en sucre.


Manger mieux

Pour contrer les fâcheuses tendances de notre cerveau, la première chose est de fuir les restaurants qui proposent des buffets à volonté parce qu’ils jouent sur nos instincts et pas sur la raison. La seconde est d’éviter d’avoir dans ses placards des réserves d’aliments trop variés, particulièrement lorsqu’ils sont riches en gras et en sucres. A eux seuls, ils peuvent déclencher les « petits creux ». Et puis, le plaisir n'en sera que plus grand lorsque vous vous offrirez exceptionnellement une glace ou une barre de chocolat !


Bien sûr, il faut manger sain. Plus personne ne doute désormais des bienfaits du régime méditerranéen qui aide à lutter contre les méfaits de l’oxygène que nous sommes contraints d’inhaler pour vivre. Des études indiquent ainsi que la durée de vie est fortement corrélée à la façon dont les espèces se défendent contre l’oxydation. En conséquence, la meilleure façon de vieillir lentement et en bonne santé est d’exposer le moins possible vos cellules à l’oxygène. Un bon moyen est de réduire les portions dans les assiettes et particulièrement le nombre de calories issues de protéines animales. Un autre est de manger si possible entre 9 heures du matin et 4 heures de l’après-midi. En d’autres termes, manger tôt, sauter le repas du soir et surtout ne jamais grignoter le soir. En plus, vous dormirez mieux !



[1] Les influx nerveux qui transmettent des informations dans notre cerveau transitent par les neurones. A l’intérieur du neurone, l’influx nerveux voyage électriquement. Mais pour passer d’un neurone à l’autre, la transmission est chimique. Le neurone fabrique et libère une molécule appelée neurotransmetteur. Cette molécule (si la quantité libérée est suffisante) se fixe sur le neurone suivant, ce qui permet le passage de l’influx. Il existe de nombreux neurotransmetteurs dans le cerveau, dont les plus connus sont la dopamine, la noradrénaline et la sérotonine.

 

Source

Gary L. Wenk, traduction : N. Boisselier (2019). Votre cerveau vous livre ses secrets. Paris : ESF Sciences Humaines.

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