Quelle sorte dâamoureux(se) ĂȘtes-vousâŠ
- Nathalie Boisselier
- 15 août 2019
- 13 min de lecture
Pour les psychologues, les styles dâattachement romantique reprennent ceux existant chez lâenfant et ne font que les rĂ©actualiser de maniĂšre inconsciente. Si vous tombez toujours sur le mĂȘme genre de personne et vivez encore et encore le mĂȘme type de relation toxique, ce nâest donc pas un hasard. Mais ce nâest pas une fatalitĂ© et vous pouvez travailler Ă changer les choses.

La thĂ©orie de lâattachement de John Bowlby (1978) a marquĂ© un tournant en psychologie puisquâelle dĂ©termine comment les ĂȘtres humains sâattachent aux autres et la maniĂšre dont ils construisent et vivent leurs relations avec dâautres humains. Pour construire sa thĂ©orie, Bowlby sâest intĂ©ressĂ© Ă la nature du lien mĂšre-enfant. Son postulat phare : chacun dâentre nous a besoin de dĂ©velopper une relation dâattachement avec au moins une personne qui prend soin de lui de maniĂšre stable, cohĂ©rente et continue pour dĂ©velopper un dĂ©veloppement social et Ă©motionnel normal.
Lâattachement possĂšde Ă la fois Ă une composante innĂ©e et une composante apprise. Il existerait ainsi un besoin primaire prĂ©sent chez tous les nouveau-nĂ©s de nouer un lien dâattachement avec celui ou celle qui deviendra sa figure dâattachement ou donneur de soin. Ce besoin, hĂ©ritĂ© de lâEvolution, correspond Ă une nĂ©cessitĂ© de protection et de sĂ©curitĂ© propre Ă lâespĂšce. Il se fonde sur cinq comportements donnĂ©s Ă la naissance et permettant de nouer et maintenir le contact avec le donneur de soins : le sourire, la vocalisation, les pleurs, le comportement dâaggripement et la succion.
A partir de ce systĂšme innĂ© se dĂ©veloppe un schĂ©ma (ou type) dâattachement qui dĂ©pend cette fois de lâexpĂ©rience et peut donc ĂȘtre diffĂ©rent entre les individus. Ce schĂ©ma dâattachement repose sur lâapprentissage des liens affectifs que le bĂ©bĂ© construit dans lâenfance auprĂšs de sa figure dâattachement (souvent la mĂšre, considĂ©rĂ©e par Bowlby comme la « base de sĂ©curitĂ© »). Si le schĂ©ma dâattachement se dĂ©veloppe tout au long de la vie, de nombreux travaux scientifiques ont pu montrer quâil Ă©tait principalement jouĂ© dĂšs les premiers mois de la vie et quâil existait une fenĂȘtre dite « sensible » pour quâil se construise. Ainsi, des enfants privĂ©s de soins attentifs et continus peuvent se laisser dĂ©pĂ©rir et mourir.
Pour ce qui concerne les types dâattachement, deux ont principalement Ă©tĂ© identifiĂ©s. Si la figure dâattachement est disponible et apporte de la sĂ©curitĂ© affective Ă son enfant, celui-ci dĂ©veloppera un attachement de type sĂ©curisant (ou sĂ©cure). En revanche, si cette figure nâapporte pas de sĂ©curitĂ© affective, lâindividu dĂ©veloppera un attachement de type insĂ©curisant (ou insĂ©cure).
En rĂ©sumĂ©, mĂȘme si le systĂšme dâattachement se manifeste dâabord par des comportements innĂ©s permettant de rechercher la proximitĂ© affective, il sâĂ©taye Ă partir de modĂšles de reprĂ©sentations internes construits Ă partir des expĂ©riences dâinteractions du sujet avec sa figure dâattachement. Ces expĂ©riences vont donner lieu Ă des croyances et Ă des reprĂ©sentations concernant cette figure dâattachement. Elles se gĂ©nĂ©ralisent ensuite par « duplication » aux relations interpersonnelles avec lesquelles le mĂȘme schĂ©ma sera reproduit, y compris les relations amoureuses.
L'attachement chez l'enfant
A la suite de Bowlby, de nombreux chercheurs ont travaillĂ© sur lâattachement, et particuliĂšrement la psychologue Mary Ainsworth. GrĂące Ă de nombreuses observations et Ă la mise au point dâun protocole expĂ©rimental inĂ©dit (connu sous le nom de « situation Ă©trange »), elle a pu prĂ©ciser les types dâattachement et surtout montrer que le type insĂ©cure se scindait en trois schĂ©mas (ou styles) diffĂ©rents dĂ©terminant diffĂ©rentes modalitĂ©s dâattachement :
âą Groupe A (attachement insĂ©cure Ă©vitant) : Il caractĂ©rise des enfants qui prĂ©sentent peu de manifestations affectives ou de comportements en direction de la base de sĂ©curitĂ©. Ces enfants paraissent peu affectĂ©s par la sĂ©paration, ont tendance Ă Ă©viter la proximitĂ© et le contact avec la mĂšre lors des retrouvailles et se focalisent surtout sur les jouets prĂ©sents dans lâenvironnement. Si un Ă©tranger leur retire le jouet quâils manipulent, ils peuvent se raidir ou se dĂ©tourner. Dans cette catĂ©gorie, lâenfant nâa pas confiance dans la disponibilitĂ© de son donneur de soins. Il tente de contrĂŽler son anxiĂ©tĂ© face Ă la sĂ©paration en abaissant le niveau de ses ressentis Ă©motionnels et en se dĂ©tournant de la mĂšre. Pourtant, le dĂ©sintĂ©rĂȘt ou lâindiffĂ©rence dans le lien dâattachement nâest quâapparent puisquâil traduit la volontĂ© de se dĂ©fendre face Ă lâanxiĂ©tĂ© rĂ©sultant de la sĂ©paration dâavec la mĂšre. Les parents de tels enfants ont Ă©tĂ© montrĂ©s comme apportant souvent peu ou pas de rĂ©ponse Ă lâenfant stressĂ©. Ses demandes sont accueillies par de lâagressivitĂ©, du rejet ou de lâindiffĂ©rence. Ils dĂ©couragent les pleurs et encouragent l'indĂ©pendance. Adulte, lâenfant peut ne garder quâun nombre limitĂ© de souvenirs prĂ©cis de ses expĂ©riences dâattachement, dĂ©nier des expĂ©riences nĂ©gatives, voire idĂ©aliser les parents.
âą Groupe B (attachement sĂ©cure) : Ces enfants peuvent manifester une forme de protestation lors des sĂ©parations, surtout lors dâune sĂ©paration stressante. Mais ils accueillent avec plaisir leur mĂšre lors de son retour, notamment en recherchant la proximitĂ©. AprĂšs avoir Ă©tĂ© rĂ©confortĂ©s, ils retournent ensuite jouer. Dans cette catĂ©gorie, lâenfant se montre donc confiant vis-Ă -vis du donneur de soins parce que ce dernier lui apporte un sentiment de sĂ©curitĂ©. Les parents de tels enfants ont Ă©tĂ© montrĂ©s comme rĂ©pondant gĂ©nĂ©ralement de façon constante et appropriĂ©e Ă leurs enfants. Ils sont disponibles, cohĂ©rents, aimants. Devenu adulte, la personne est capable de faire une description dĂ©taillĂ©e et cohĂ©rente de ses expĂ©riences, positives ou nĂ©gatives. Elle est Ă lâaise avec ses imperfections et celles de ses parents.
âą Groupe C (attachement insĂ©cure ambivalent) : Ce sont des enfants qui expriment de la dĂ©tresse lors de la sĂ©paration, mais avec un mĂ©lange de recherche de contact et de rejet colĂ©rique, et il est difficile de les rĂ©conforter. De plus, le retour et le rĂ©confort de la mĂšre ne diminuent pas la dĂ©tresse de lâenfant. Ces enfants cherchent de maniĂšre importante Ă attirer lâattention de leur figure dâattachement. PerturbĂ©s sâils sont sĂ©parĂ©s dâelle, ils ne font pourtant pas mine de rechercher sa prĂ©sence. AprĂšs son retour lors dâune sĂ©paration, ils nâarrivent pas Ă se calmer et Ă sâintĂ©resser Ă leur environnement, comme des jouets disposĂ©s dans la piĂšce. Ces enfants ont souvent des parents montrant une incohĂ©rence entre des rĂ©ponses appropriĂ©es et d'autres nĂ©gligentes. Les rĂ©actions de tels parents peuvent ĂȘtre imprĂ©visibles ; un mĂȘme comportement peut ĂȘtre accueilli avec de lâenthousiasme une fois, et de la colĂšre une autre fois. A lâĂąge adulte, les souvenirs des enfants de ce groupe sont souvent vagues, et il peut y avoir beaucoup de colĂšre envers les parents.
âą Groupe D (insĂ©cure dĂ©sorganisĂ©) : Cette modalitĂ© dâattachement a Ă©tĂ© ajoutĂ©e par Main en 1985. Elle caractĂ©rise des enfants dont on ne comprend pas les intentions. Leurs comportements apparaissent dĂ©sorganisĂ©s simultanĂ©ment ou dans leur succession. Ils peuvent par exemple se figer ou avoir des rĂ©actions contradictoires ou colĂ©riques, ou encore avoir des rĂ©ponses stĂ©rĂ©otypĂ©es lors du retour de la figure dâattachement. Ils ne se sentent pas en sĂ©curitĂ©, ni lorsquâils sont loin du parent, ni lorsquâils sâen approchent ; il en rĂ©sulte une image de soi nĂ©gative. Ces enfants ont souvent eu des parents maltraitants, ayant des comportements figĂ©s ou figeants, intrusifs ou nĂ©gligents, maniant la nĂ©gativitĂ©, cofondant les rĂŽles (lâenfant devient le parent et inversement), ou faisant des erreurs rĂ©guliĂšres de communication. A lâĂąge adulte, le discours des expĂ©riences de lâenfance est souvent incohĂ©rent, contradictoire, incomplet.
L'attachement chez l'adulte
Chez lâadulte, on considĂšre les stratĂ©gies dâattachement sont comme des stratĂ©gies de rĂ©gulation Ă©motionnelle et de traitement de lâinformation Ă©motionnelle. Il semblerait donc quâĂ partir de son expĂ©rience affective infantile avec sa figure dâattachement, lâindividu construise sa capacitĂ© de faire face Ă ses Ă©motions et Ă les gĂ©rer. La stratĂ©gie sĂ©cure est ainsi considĂ©rĂ©e comme une stratĂ©gie de rĂ©gulation Ă©motionnelle Ă©quilibrĂ©e. Quant aux stratĂ©gies insĂ©cures, qui marquent un dĂ©rĂšglement dans le traitement et la rĂ©gulation des Ă©motions, on en distingue deux types :
- La stratĂ©gie dâhyperactivation (le type « prĂ©occupĂ© » dans lâattachement amoureux dont nous allons parler plus bas). Elle correspond au dĂ©bordement Ă©motionnel et Ă lâincapacitĂ© de traiter des informations de maniĂšre adaptĂ© puisque lâindividu est envahi par ses Ă©motions,
- La stratégie de désactivation (le type « détaché ») consiste à réprimer les émotions et à inhiber toute information de nature émotionnelle.
Ces stratĂ©gies de rĂ©gulation Ă©motionnelle, qui prĂ©sident Ă la maniĂšre dont chacun noue et maintient des relations avec autrui, rĂ©actualisent les modĂšles dâattachement issus des expĂ©riences infantiles passĂ©es. Bowlby considĂ©rait dĂ©jĂ que le systĂšme dâattachement fonctionne tout au long de la vie. Lâadulte recherche ainsi continuellement dans son environnement actuel (quâil soit amoureux ou amical) de la disponibilitĂ©, du rĂ©confort et un sentiment de sĂ©curitĂ©, tout comme il le faisait enfant avec ses parents. Ainsi, pour reprendre les termes de Shaver et Mikulincer (2002), les styles dâattachement adulte sont des « patterns systĂ©matiques dâattentes, de besoins, dâĂ©motions, de stratĂ©gies de rĂ©gulation Ă©motionnelle et de comportement social qui rĂ©sultent de lâinteraction du systĂšme dâattachement avec une histoire particuliĂšre des expĂ©riences dâattachement ».
L'attachement amoureux
Les psychologues Hazan et Shaver sont les premiers, en 1987, Ă avoir proposĂ© une thĂ©orie de lâattachement spĂ©cifique de lâadulte dans ses relations amoureuses. Ils ont ainsi dĂ©veloppĂ© le concept « dâattachement romantique », partant du principe que lâattachement adulte se noue auprĂšs du partenaire amoureux au mĂȘme titre que lâattachement de lâenfant se construit auprĂšs de ses parents. Pour ces psychologues, le parallĂšle est Ă©vident : avec ses parents comme avec un partenaire amoureux, les ĂȘtres humains ont besoin de se sentir en sĂ©curitĂ©, de disponibilitĂ© et dâobtenir une rĂ©ponse appropriĂ©e lorsquâils se sentent en dĂ©tresse. Ils ont besoin de se sentir engagĂ©s et de contact. Ils se sentent en insĂ©curitĂ© lorsque le partenaire se rend inaccessible. Un couple a Ă©galement tendance Ă partager un langage propre et qui nâappartient quâĂ lui, ressemblant pour beaucoup parfois Ă un « langage bĂ©bĂ© ».
Tous ces comportements et sentiments poursuivent les mĂȘmes objectifs : Ă©prouver un sentiment de sĂ©curitĂ© qui fait partie des besoins humains fondamentaux et parvenir Ă une bonne rĂ©gulation des Ă©motions. Seule diffĂ©rence avec lâenfance : la sexualitĂ© qui est prĂ©sente dans la relation romantique alors quâelle ne peut se concevoir au sein de la relation parent-enfant. DâaprĂšs Hazan et Shaver qui les ont Ă©tudiĂ©s, les comportements sexuels diffĂšrent en fonction des styles dâattachement amoureux : les personnes insĂ©cures ambivalentes (attachement romantique « prĂ©occupĂ© ») trouveraient davantage de plaisir dans la tendresse que dans la sexualitĂ©, alors que les personnes insĂ©cure-Ă©vitantes (attachement romantique « dĂ©tachĂ© ») rechercheraient davantage la sexualitĂ© et accepteraient davantage dâavoir des relations sexuelles en lâabsence de sentiments.
Les styles d'attachement romantique
Compte tenu de la continuitĂ© du systĂšme dâattachement entre lâenfance et lâĂąge adulte, Hazan et Shaver suggĂšrent que les mĂȘmes styles dâattachement devraient se retrouver aux deux Ă©poques. Aussi, les styles dâattachement romantique reprennent ceux existant chez lâenfant et se rĂ©partissent de la maniĂšre suivante :
- Attachement sĂ©cure (60% de la population) : il concerne les individus qui nâont aucune difficultĂ© Ă devenir intimes et Ă faire confiance Ă leur partenaire.
- Attachement Ă©vitant (20%) : il concerne les personnes qui souhaitent Ă©chapper Ă la dĂ©pendance affective et qui Ă©vitent consciemment ou inconsciemment de sâengager dans des relations durables. Ces personnes Ă©prouvent des difficultĂ©s Ă ĂȘtre proches des autres et nâapprĂ©cient pas non plus que lâon devienne trop intime avec elles. Le style Ă©vitant a Ă©tĂ© scindĂ© en deux styles dâattachement romantique : dĂ©tachĂ© et craintif (voir plus bas).
- Attachement ambivalent (20%) : il concerne les individus qui ont des demandes affectives dĂ©mesurĂ©es qui les mĂšnent Ă la frustration ou Ă des inquiĂ©tudes Ă propos de la relation. Ils ont peur dâĂȘtre abandonnĂ©s et remettent en question de maniĂšre incessante la sincĂ©ritĂ© de lâamour de lâautre. Cette attitude conduit souvent Ă la jalousie, au soupçon, au contrĂŽle, voire Ă la domination.
Ces thĂ©orisations ont conduit Ă distinguer deux dimensions fondamentales de lâattachement romantique : lâanxiĂ©tĂ© et lâĂ©vitement dans la relation. La dimension de lâĂ©vitement renvoie Ă la peur de lâintimitĂ© et de la dĂ©pendance, alors que la dimension de lâanxiĂ©tĂ© renvoie Ă la peur de lâabandon. A partir de ces deux dimensions, quatre styles dâattachement amoureux ont Ă©tĂ© distinguĂ©s (voir tableau ci-dessous) :
- romantique sĂ©cure qui correspond Ă lâattachement sĂ©cure de lâenfant,
- romantique préoccupé qui correspond au style ambivalent,
- romantique dĂ©tachĂ© qui correspond Ă lâattachement Ă©vitant,
- romantique craintif qui correspond au Ă lâattachement dĂ©sorganisĂ©-dĂ©sorientĂ©.
La distinction entre style dĂ©tachĂ© et craintif concerne les liens entre lâĂ©vitement et les modalitĂ©s de dĂ©fense : les personnes ayant un style dĂ©tachĂ© arrivent Ă supprimer les pensĂ©es et les Ă©motions en dĂ©sactivant lâattachement tandis que les personnes ayant un style craintif Ă©chouent dans leurs tentatives de dĂ©sactivation et de dĂ©tournement de lâattachement.

âą Style romantique sĂ©curisĂ© (Ă©vitement et anxiĂ©tĂ© faibles) : ce style caractĂ©rise des individus trĂšs confiants dans les relations intimes et recherchant la proximitĂ© affective du partenaire. Tout en considĂ©rant le couple comme une base de sĂ©curitĂ© solide, ils peuvent ĂȘtre trĂšs autonomes et nâont pas besoin dâĂȘtre rĂ©assurĂ©s en permanence sur lâamour de leur partenaire.
âą Style romantique dĂ©tachĂ© (Ă©vitement Ă©levĂ© et anxiĂ©tĂ© faible) : ce style caractĂ©rise des individus qui nâĂ©prouvent pas le besoin de rechercher de lâintimitĂ© affective avec le partenaire ou de partager des Ă©motions avec lui. Ils insistent sur leur indĂ©pendance vis-Ă -vis du partenaire.
âą Style romantique prĂ©occupĂ© (Ă©vitement faible et anxiĂ©tĂ© Ă©levĂ©e) : ce style caractĂ©rise des individus trĂšs inquiets concernant leurs relations intimes (peur dâĂȘtre abandonnĂ©, de ne pas ĂȘtre aimĂ©) et qui cherchent alors Ă ĂȘtre extrĂȘmement proches et dĂ©pendants de leur partenaire.
âą Style romantique craintif (Ă©vitement et anxiĂ©tĂ© Ă©levĂ©s) : ce style caractĂ©rise des individus qui cherchent lâaffection apportĂ©e par les relations intimes mais ont aussi peur dâĂȘtre rejetĂ©s par leur partenaire en ce qui concerne leurs demandes affectives. Ils imposent alors souvent une distance Ă leur partenaire en ne se confiant pas avec une totale sincĂ©ritĂ©, malgrĂ© leur besoin dâentrer en relation et dâĂȘtre sĂ©curisĂ©s par celui-ci.
Implications dans la vie amoureuse
Il existe de nombreuses consĂ©quences du style dâattachement dans la vie amoureuse des personnes, surtout lorsque les relations dĂ©rapent, semblent toujours se renouveler Ă lâidentique ou conduisent Ă des ruptures. Il nâest ainsi pas rare dâentendre des femmes verbaliser en entretien quâelles ont lâimpression de toujours « sâembarquer » dans le mĂȘme type de relation, avec des partenaires qui au fond ne leur conviennent pas et ne leur permettent dâaccĂ©der ni au bonheur, ni Ă lâĂ©panouissement, ni Ă la sĂ©rĂ©nitĂ©. Non pas quâelles soient Ă blĂąmer (elles ne peuvent pas ĂȘtre coupables dâaimer !), mais leur style dâattachement peut les conduire Ă vivre « lâĂ©ternel retour du mĂȘme ».
Or, si lâamour est un art constant du compromis, il ne peut pas ĂȘtre envahi par le conflit, lâhostilitĂ© et la colĂšre. Il ne peut pas ĂȘtre nourri par la peur (peur de lâabandon, de ne pas ĂȘtre aimĂ©(e), de ne pas ĂȘtre Ă la hauteur, peur du dĂ©nigrement et de lâhumiliation) et par les comportements dĂ©fensifs dâĂ©vitement (Ă©viter le rejet, se dĂ©fendre dâaffects douloureux et intenses).
Chez certaines personnes partageant des traits appartenant Ă la personnalitĂ© borderline (câest-Ă -dire avec une impulsivitĂ© marquĂ©e, une hyperactivation Ă©motionnelle et des Ă©tats Ă©motionnels facilement changeants), le lien amoureux Ă lâautre est tellement problĂ©matique quâil peut aller jusquâĂ une alternance dĂ©stabilisante entre idĂ©alisation et dĂ©valorisation du partenaire, ce qui peut conduire Ă une perturbation de lâidentitĂ© mĂȘme. De plus, ce nâest pas parce que le lien amoureux est recherchĂ© quâil offre pour autant de la satisfaction, de lâapaisement ou des relations de confiance. Un attachement amoureux craintif peut devenir une source de tension et mĂȘme de souffrance psychologique intolĂ©rable. Il peut mobiliser des attitudes de grande rĂ©activitĂ© Ă©motionnelle marquĂ©es par lâagressivitĂ©, la haine ou lâauto-destruction ou des attitudes contradictoires. Dans un rapport pouvant devenir agressif en rĂ©action Ă la dĂ©tresse, ces patientes tentent continuellement de savoir si elles peuvent ĂȘtre aimĂ©es ou si elles continuent Ă ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme indignes dâamour, des personnes quâon rejette et quâon abandonne. Quand les rĂ©ponses ne viennent pas, et pour Ă©viter de sombrer, un mode « protecteur dĂ©tachĂ© » peut se mettre en place : troubles des comportements alimentaires, prise dâalcool ou de drogues, achats compulsifs, conduites Ă risque. En thĂ©rapie, ces comportements sont souvent prĂ©sentĂ©s comme lâobjet principal de la demande de soin alors quâils constituent en rĂ©alitĂ© une consĂ©quence. Face Ă une image de soi brouillĂ©e ou dĂ©valorisĂ©e, un temps de pause est nĂ©cessaire pour amener les patientes Ă faire la paix avec leur expĂ©rience intĂ©rieure et Ă lâaccueillir avec douceur et compassion pour soi.
La psychothérapie
Pour ces personnes, connaĂźtre leurs modalitĂ©s dâattachement qui opĂšrent Ă un niveau inconscient est un premier pas thĂ©rapeutique. Cette prise de conscience peut sâinitier en utilisant le questionnaire sur les expĂ©riences dâattachement amoureux (QEAA-Traduction francophone de lâECR). Ce questionnaire a Ă©tĂ© créé par Brennan, Clark et Shaver en 1998, puis traduit et validĂ© en langue française par Lafontaine et Lussier en 2003. Il investigue les attentes, les sentiments et les comportements des sujets Ă lâĂ©gard de leur partenaire amoureux. Ce questionnaire permet de situer la personne sur les dimensions de lâanxiĂ©tĂ© et de lâĂ©vitement dans la relation amoureuse. Il permet Ă©galement dâindiquer quel est le style dâattachement privilĂ©giĂ© par la personne. Ce nâest pas tant les chiffres ou catĂ©goriser les personnes qui sont importants que la qualitĂ© des rĂ©ponses. Elle permet dâinitier le questionnement et de faire des liens en psychothĂ©rapie. En mettant en route son systĂšme de mentalisation, le patient peut redevenir acteur de sa vie en identifiant et comprenant mieux ses attitudes et ses croyances sur soi et autrui (Ă©tats mentaux) en fonction dâune comprĂ©hension prĂ©alable de ses Ă©tats Ă©motionnels. En se connectant Ă ses valeurs, câest-Ă -dire Ă ce qui est important pour lui, il est Ă©galement mis en capacitĂ© de trouver du sens et Ă comparer ce quâil a vĂ©cu jusque-lĂ dans ses relations amoureuses au regard de la maniĂšre dont il souhaiterait quâelles se passent.
Au cours dâun travail de thĂšse trĂšs complet Matthieu Reynaud (2011) a observĂ© que les femmes dĂ©primĂ©es quâil observait mettaient souvent en relation les diffĂ©rents liens dâattachement passĂ©s (parentaux) et prĂ©sents (amoureux et interpersonnels), dans le sens de lâinsĂ©curitĂ©. Quel que soit lâobjet dâattachement (parents, partenaires amoureux, les autres en gĂ©nĂ©ral), ces femmes rĂ©alisaient que les liens quâelles Ă©tablissaient habituellement ne cessaient dâĂȘtre insĂ©curisĂ©s. Ainsi, les relations dâattachement actuelles dĂ©crites comme nĂ©gatives (en particulier les relations amoureuses) rĂ©activaient et prenaient sens au regard de la maniĂšre dont ces femmes se reprĂ©sentaient leurs expĂ©riences parentales passĂ©es. Câest certainement la raison pour laquelle beaucoup de psychologues cliniciens sâaccordent Ă dire quâil nâest pas possible de comprendre et de traiter le vĂ©cu dâinsĂ©curitĂ©, dans les relations dâattachement actuelles (en particulier dans le couple), sans faire rĂ©fĂ©rence et sans faire le lien avec les reprĂ©sentations dâattachement de lâenfance avec les parents. Mettre en lumiĂšre, au cours de la psychothĂ©rapie, les attachements de lâenfance (« les scĂ©narii relationnels de lâenfance ») pourrait ainsi ouvrir sur la perspective dâajuster, modifier et rendre plus harmonieuses les relations prĂ©sentes, telles quâelles se dĂ©roulent dans le couple. Cette mise en lien entre attachement passĂ© et prĂ©sent pourrait permettre dâinflĂ©chir le sentiment dâinsĂ©curitĂ© actuel en réélaborant les aspects nĂ©gatifs et insĂ©curisĂ©s des liens dâattachement passĂ©s.
Sources
Ainsworth, M. (1989). Attachments beyond infancy. American Psychologist, 4, 709-716.
Bowlby, J. (1978). Attachement et perte. Lâattachement (vol 1). Paris: traduction française de Weil, Presses Universitaires de France, le fil rouge.
Bowlby, J. (1978). Attachement et perte. La séparation : angoisse et colÚre (vol 2). Paris: traduction française de Weil, Presses Universitaires de France, le fil rouge.
Bowlby, J. (1984). Attachement et perte. La perte, tristesse et séparation (vol 3). Paris: traduction française de Weil, Presses Universitaires de France, le fil rouge.
Bowlby, J. (1988). A secure base : clinical implications of the attachment therapy. Londres : Routledge.
Brennan, K. A., Clark, C. L., & Shaver, P. R. (1998). Self-report measurement of adult attachment: An integrative overview. In J. A. Simpson & W. S. Rholes (Eds.). Attachment theory and close relationships (pp. 46â76). New York, NY: GuilfordPress.
Lafontaine, M.-F., & Lussier, Y. (2003). Bidimensional structureof attachment in love: Anxiety over abandonment and avoidance of intimacy. Canadian Journal of Behavioural Science, 35, 56â60.
Reynaud, M. (2011). Le modÚle de l'attachement adulte dans la perturbation de la régulation émotionnelle et des liens affectifs des femmes hospitalisées souffrant de dépression (Doctoral dissertation).
