La théorie du monotropisme permet d'expliquer la co-occurence fréquente du TDA/H et du trouble du spectre de l'autisme à travers une gestion atypique des ressources attentionnelles.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il n’y a pas qu’une seule théorie de l’autisme, ou plutôt une seule manière d’expliquer les symptômes de l’autisme et les mécanismes qui sous-tendent ses symptômes.
Depuis plusieurs décennies, l’autisme (voir Figure ci-dessous) a été principalement conceptualisé à travers des modèles centrés sur les déficits cognitifs et comportementaux. Parmi les théories dominantes, on trouve celles du déficit de la Théorie de l’Esprit, du dysfonctionnement exécutif et de la faible cohérence centrale. Cependant, ces modèles, malgré leur intérêt évident, peinent à expliquer l’ensemble des particularités observées dans l’autisme.
Dans ce contexte, la théorie du monotropisme introduite dans les années 1990 par Dinah Murray et Wenn Lawson propose une alternative intéressante. Ce modèle repose sur l’idée que les personnes autistes ont tendance à concentrer leur attention de manière intense et limitée sur un nombre réduit de centres d’intérêt. Cette hyperfocalisation pourrait expliquer de nombreuses spécificités comportementales et cognitives associées à l’autisme, notamment les intérêts restreints et la difficulté à passer d’une activité à l’autre.
Par ailleurs, des recherches ont révélé des similitudes entre le monotropisme et les symptômes attentionnels observés dans le Trouble Déficitaire de l’Attention avec ou sans Hyperactivité (TDA/H). Ces recherches montrent plus spécifiquement que l’hyperfocalisation de l’attention est une caractéristique courante chez les personnes autistes, mais également chez celles présentant un TDA/H.
Cette observation peut sembler paradoxale, étant donné que le TDA/H est en partie défini par une plus grande susceptibilité à la distraction, alors que les intérêts restreints dans le spectre de l’autisme suggèrent une plus grande focalisation de l’attention. En réalité, il semble que les deux troubles se caractérisent par une régulation atypique de l’attention. Cette régulation atypique inclut à la fois des expériences d’hyperfocalisation sur les intérêts spécifiques et des épisodes d’inattention résultant d’une plus grande vulnérabilité aux distracteurs environnementaux. En outre, ces deux caractéristiques – hyperfocalisation et distractibilité – semblent plus fréquemment observées chez les personnes autistes et TDA/H que chez les personnes neurotypiques.

Cet article débutera par une présentation des principales théories cognitives de l’autisme avant de détailler celle du monotropisme, et en quoi elle pourrait mieux éclairer les mécanismes à l’œuvre dans les manifestations symptomatiques de l’autisme. Enfin, je présenterai les résultats d’une étude récente investiguant l’inattention et l’hyperfocalisation – c’est-à-dire le monotropisme – dans des populations autistes et TDA/H, en comparaison de la population générale.
Les théories cognitives dominantes de l’autisme
1. Déficit de la Théorie de l’Esprit (ToM)
La Théorie de l'Esprit (ToM) désigne une capacité fondamentale permettant à un individu d'attribuer des états mentaux (pensées, croyances, sentiments, intentions) à soi-même ou à autrui et de les comprendre. En communication réciproque, cette aptitude repose sur la possibilité de se forger une théorie sur les états affectifs ou cognitifs de l’autre à partir d’indices comme les expressions émotionnelles, les attitudes, ou la connaissance supposée de sa réalité. La ToM joue donc un rôle central dans le bon déroulement des interactions sociales et la régulation des conduites, en favorisant notamment l’empathie et les comportements prosociaux qui en découlent (Duval et al., 2011).
Dans le cadre de l’autisme, Simon Baron-Cohen et ses collègues (1985) ont formulé l’hypothèse selon laquelle les personnes autistes présenteraient un déficit en Théorie de l’Esprit. Ce déficit serait à l’origine d’une « cécité mentale » qui pourrait expliquer les difficultés des personnes autistes dans les interactions sociales complexes, telles que l’incapacité à détecter l’ironie et l’humour, à comprendre les actes de langage, les métaphores, les intentions implicites, et à interpréter les expressions faciales subtiles.
Cependant, cette théorie présente la limite de mettre l’accent sur les déficits dans la cognition sociale sans proposer d’explication pour d’autres caractéristiques centrales de l’autisme, comme les comportements répétitifs ou les intérêts restreints. Par ailleurs, elle tend à négliger la prise en compte de la gestion des ressources attentionnelles dans les interactions sociales. Or, les personnes autistes peuvent démontrer des capacités sociales alternatives et même se montrer relativement compétentes dans des contextes où les exigences attentionnelles sont réduites ou mieux adaptées à leurs particularités. Par exemple, dans des interactions en face-à-face, où les signaux sociaux sont moins nombreux et plus prévisibles que dans les interactions de groupe, elles peuvent mobiliser leurs ressources attentionnelles pour se concentrer sur un seul interlocuteur. Ces contextes permettent de contourner, ou au moins d’atténuer, les difficultés liées à l’attention partagée ou à la rapidité d’interprétation des signaux sociaux.
En ce sens, Keehn et al. (2013) ont montré que les déficits dans le désengagement de l’attention (capacité à détacher son attention d’un stimulus pour la diriger vers un autre) peuvent perturber les interactions sociales des personnes autistes. Ces difficultés sont particulièrement prononcées dans des contextes où il est nécessaire de partager son attention entre plusieurs indices sociaux ou d’alterner rapidement entre différentes sources d’information. Cela suggère que les difficultés sociales des personnes autistes ne sont pas uniquement liées à un déficit fondamental de compréhension des états mentaux d’autrui, mais qu’elles sont également influencées par des mécanismes attentionnels atypiques.
Quant aux capacités sociales alternatives, elles résultent souvent de stratégies de compensation apprises, où les individus développent des moyens spécifiques pour interagir avec leur entourage. Cela peut inclure l’imitation de comportements sociaux, l’utilisation consciente de règles sociales explicites, ou encore l’apprentissage délibéré de certains codes sociaux qui permettent de s’adapter à des interactions spécifiques.
2. Dysfonctionnement exécutif
Les fonctions exécutives désignent un ensemble de processus cognitifs de haut niveau permettant de réguler les pensées, les comportements et les émotions pour atteindre des objectifs spécifiques. Elles incluent des capacités telles que la planification, la flexibilité cognitive, le contrôle inhibiteur (s’empêcher de…), la gestion des priorités et la résolution de problèmes. Ces processus sont essentiels pour s’adapter à des environnements changeants et organiser les tâches de la vie quotidienne.
Dans l’autisme, un dysfonctionnement exécutif a été identifié comme un facteur contribuant à certaines difficultés comportementales. Les personnes autistes peuvent, par exemple, faire preuve de rigidité cognitive, de difficultés à passer d’une tâche à une autre, ou encore avoir une tendance à adhérer excessivement à des routines. Ces caractéristiques peuvent se manifester dans la vie quotidienne par une incapacité à abandonner une activité qui ne produit plus de résultats, ou à s’adapter rapidement à un changement imprévu dans l’emploi du temps.
Des recherches récentes, comme celles de Demetriou et al. (2018), confirment que les personnes autistes présentent des déficits marqués dans plusieurs fonctions exécutives, notamment la flexibilité cognitive et le contrôle inhibiteur. Ces déficits expliquent en partie la rigidité comportementale et les difficultés à gérer des transitions. Craig et al. (2016) ont également montré que ces profils dysexécutifs partagent des similitudes avec ceux observés dans le TDA/H, bien que chaque condition présente des spécificités distinctes.
La théorie dysexécutive de l’autisme s’appuie sur des corrélations neuroanatomiques. Par exemple, des anomalies fonctionnelles et structurelles dans le cortex préfrontal, une région du cerveau impliquée dans la régulation exécutive, ont été identifiées comme des marqueurs potentiels des déficits observés dans l’autisme (Geurts et al., 2014). Ces altérations affectent la capacité à gérer les conflits cognitifs, à s’adapter à de nouvelles informations ou à inhiber des réponses automatiques.
Cependant, le modèle du dysfonctionnement exécutif présente lui aussi des limites. Bien qu’il explique certains aspects des rigidités observées chez les personnes autistes, il ne prend pas suffisamment en compte les interactions entre les fonctions exécutives et les mécanismes attentionnels. Or, bien que l’attention et les fonctions exécutives soient étroitement corrélées, il s’agit de construits distincts. L’attention joue un rôle central dans l’orientation vers des objectifs spécifiques et la gestion des ressources cognitives, ce qui peut directement influencer l’efficacité des fonctions exécutives. Par exemple, des déficits dans l’attention partagée ou dans la capacité à désengager l’attention d’un stimulus peuvent amplifier les difficultés liées à la flexibilité cognitive et à l’adaptation aux changements.
Une autre limite réside dans l’interprétation souvent unilatérale des rigidités comportementales. Or, ces comportements peuvent aussi être vus comme des stratégies compensatoires visant à réduire l’incertitude ou à maintenir un niveau optimal de prévisibilité dans des environnements perçus comme imprévisibles ou stressants. Cette hypothèse invite à repenser le rôle des fonctions exécutives dans l’autisme non seulement en termes de déficits, mais aussi en termes d’adaptation aux exigences de l’environnement.
3. Faible cohérence centrale
Introduite par Frith (1989), la théorie de la faible cohérence centrale propose que les personnes autistes privilégient le traitement des détails au détriment d’une vision plus globale des choses. Ainsi, une personne autiste peut exceller dans des tâches nécessitant une analyse fine, comme repérer des détails infimes ou analyser des motifs complexes, tout en éprouvant des difficultés à intégrer ces éléments dans un contexte global.
Cette théorie a permis de mieux comprendre certaines caractéristiques des personnes autistes, notamment leur capacité à exceller dans des domaines spécialisés où une attention fine aux détails est un avantage. Cependant, cette focalisation sur les détails peut aussi se traduire par des difficultés dans des environnements où une compréhension globale est essentielle, comme comprendre des dynamiques sociales implicites. Elle peut aussi conduire à des blocages dans des interactions sociales, comme se focaliser sur un détail spécifique d’une conversation au détriment de son déroulement général.
Malgré son influence, le modèle de Frith a été critiqué pour son approche réductionniste, qui sous-estime les contextes dans lesquels la focalisation sur les détails est un atout. C’est notamment cette caractéristique qui permet aux personnes autistes de devenir de véritables experts dans les domaines qu’elles investissent et qui constituent leurs centres d’intérêt spécifiques.
Une autre limite réside dans le manque d’explications quant aux mécanismes qui pourraient sous-tendre cette focalisation sur les détails. En effet, la faible cohérence centrale est souvent décrite comme un traitement de l’information intrinsèquement différent de celui des personnes neurotypiques. Mais elle n’explique pas pourquoi cette tendance émerge, ni les mécanismes cognitifs qui en sont responsables (par exemple, le rôle de l’attention ou des fonctions exécutives) ou comment ces processus interagissent. Des recherches récentes (Demetriou et al., 2018 ; Keehn et al., 2013) suggèrent que des facteurs tels que le désengagement attentionnel ou la flexibilité cognitive pourraient contribuer à cette tendance. Cependant, ces travaux ne sont pas encore intégrés dans la théorie classique de la faible cohérence centrale.
En résumé, bien que la théorie de la faible cohérence centrale ait contribué à mieux comprendre certaines spécificités des personnes autistes, elle gagnerait à être enrichie par une prise en compte des mécanismes attentionnels et cognitifs qui influencent leur manière de traiter l’information.
La Théorie du Monotropisme
La théorie du monotropisme de Murray et Lawson propose une alternative intéressante aux modèles classiques centrés sur les déficits cognitifs ou comportementaux. Elle suggère que les particularités des personnes autistes reflètent une gestion atypique de leurs ressources attentionnelles. En effet, le monotropisme se caractérise par une focalisation intense de l’attention sur un nombre limité de centres d’intérêt, souvent au détriment d’autres informations ou stimuli environnementaux. À l’inverse, le polytropisme, plus courant chez les personnes neurotypiques, implique une gestion plus flexible des ressources attentionnelles. Un enfant autiste peut ainsi passer des heures absorbé par un sujet précis, alors qu'un enfant neurotypique alterne plus aisément entre différents intérêts, et il peut revenir facilement à une tâche interrompue.
Loin de se focaliser uniquement sur les déficits, la théorie du monotropisme insiste plutôt sur une gestion atypique mais cohérente des ressources attentionnelles, où ce qui est une faiblesse dans un contexte donné peut constituer un atout dans un autre. Cette théorie apporte également des éclairages sur des dynamiques attentionnelles communes à l’autisme et au trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H), en établissant des liens entre ces deux conditions neurodéveloppementales.
Hyperfocus et distractibilité : deux faces du monotropisme
Le monotropisme décrit l’idée que l’attention des personnes autistes est orientée de manière étroite vers un nombre limité de centres d’intérêt, créant ce que l’on appelle un « tunnel attentionnel ». Cette capacité d’hyperfocalisation permet aux personnes autistes d’exceller dans des domaines nécessitant une attention soutenue. Cependant, elle s’accompagne aussi de difficultés à partager ou désengager l’attention, un phénomène connu sous le nom d’attention collante (sticky attention). Ces limitations peuvent poser problème dans des environnements où une flexibilité attentionnelle est requise, comme les environnements scolaires ou sociaux complexes.
Des études confirment cette dynamique. Elles indiquent que les personnes autistes montrent souvent une lenteur à désengager leur attention d’un stimulus ou d’une tâche (Keehn et al., 2019). Ce déficit de désengagement est cohérent avec d’autres caractéristiques comportementales, telles que « l’inertie autistique » (la personne se fige lorsqu’elle ne parvient pas à trouver la meilleure façon d’agir ou une réponse) et les transitions difficiles entre activités (Allenmark et al., 2021). Par ailleurs, les personnes autistes peuvent être plus sensibles aux distractions environnementales, une distractibilité qui peut interférer avec leurs performances ou leurs apprentissages. Cette combinaison d’hyperfocalisation et de distractibilité peut paraître contradictoire, mais elle reflète la diversité des profils attentionnels autistiques, qui varient selon les contextes.
Autisme et TDA/H : des parallèles troublants
Le TDA/H partage avec l’autisme des dynamiques attentionnelles atypiques. Les personnes TDA/H se caractérisent par une plus grande distractibilité, une tendance au vagabondage mental (daydreaming), et des difficultés à maintenir leur attention sur des tâches perçues comme non motivantes. Mais elles sont également capables d’hyperfocalisation, en particulier dans des activités jugées stimulantes, comme les jeux vidéo. Ainsi, chez les personnes autistes comme chez les personnes TDA/H, les tâches engageantes favorisent l’hyperfocalisation, tandis que les activités moins stimulantes favorisent la distractibilité.
Ces similitudes ne sont pas surprenantes, les deux troubles coexistant fréquemment chez les individus. Des méta-analyses estiment ainsi que 26 à 39% des personnes autistes reçoivent également un diagnostic de TDA/H (Lai et al., 2019 ; Lugo-Marin et al., 2019), une prévalence bien supérieure à celle observée dans la population générale où la prévalence se situe autour de 7%. Cette co-occurrence rend crédible l’hypothèse que certains mécanismes attentionnels soient partagés entre les deux conditions, même si des différences peuvent exister. Par exemple, des recherches suggèrent que les personnes autistes démontrent une meilleure capacité à maintenir leur attention dans la durée par rapport aux personnes TDA/H (Johnson et al., 2007), tandis que ces dernières obtiennent de meilleurs résultats dans des tâches nécessitant une attention partagée.
L’autisme et le TDA/H partagent également une forte prévalence de comorbidités psychiatriques, notamment l’anxiété et la dépression. Des mécanismes attentionnels atypiques pourraient contribuer à ces vulnérabilités. Par exemple, l’hypervigilance, une tendance à accorder plus d'attention à des menaces potentielles, est courante dans l’anxiété. Chez les personnes autistes et TDA/H, ce biais attentionnel pourrait être aggravé par la tendance à l’hyperfocalisation, ce qui peut renforcer un état de stress chronique. Les ruminations, ou tendance à fixer son attention sur des pensées négatives répétitives, pourraient également avoir des liens avec le monotropisme. Les ruminations sont effectivement associées à des difficultés de désengagement de l’attention, un phénomène souvent observé dans l’autisme et le TDA/H. L’incapacité de se dégager de pensées négatives qui tournent en boucle peut aggraver les symptômes dépressifs et anxieux. Cependant, il est important de noter que ces difficultés attentionnelles ne sont qu’un des nombreux facteurs susceptibles d’affecter la santé mentale des populations autistes et TDA/H. Des expériences négatives telles que la stigmatisation ou la maltraitance peuvent également jouer un rôle.
Si l’hyperfocalisation peut être désavantageuse dans certains contextes, elle peut ne pas l’être dans d’autres, en particulier lorsqu’elle est alignée avec des intérêts personnels ou professionnels. Les intérêts restreints des personnes autistes, lorsqu’ils sont bien orientés, peuvent constituer la base solide à partir de laquelle se construisent de belles réussites académiques ou professionnelles. Ces intérêts peuvent également être une source de bien-être émotionnel. De nombreux témoignages d’autistes décrivent ainsi des expériences profondément positives liées à l’hyperfocalisation, souvent associées à une grande satisfaction personnelle et à un sentiment d’accomplissement.
Dans le TDA/H, des tendances similaires sont observables. L’hyperfocalisation peut être un atout lorsqu’elle est dirigée vers des tâches motivantes, mais elle est souvent limitée à des contextes spécifiques, comme les loisirs numériques. Cela met en évidence l’importance de créer des environnements qui optimisent les capacités attentionnelles tout en réduisant les sources de distractions.
Les intérêts restreints, mais pas seulement
La théorie du monotropisme se distingue par sa capacité à expliquer de manière cohérente de nombreuses caractéristiques associées à l’autisme, ce qui n’est pas toujours le cas des autres modèles.
Intérêts spécifiques : L’un des critères principaux de l’autisme est l’engagement intense et prolongé dans des intérêts spécifiques. Ces intérêts, qualifiés de « restreints » dans le cadre diagnostique, reflètent en réalité une focalisation monotrope sur des sujets captivants. Cette caractéristique peut favoriser une expertise exceptionnelle et des accomplissements dans des domaines spécialisés. Cependant, elle peut également devenir un obstacle dans des contextes où une attention plus flexible est requise, comme à l’école ou dans l’environnement professionnel.
Communication sociale : L’hyperfocalisation des personnes autistes peut compliquer les interactions sociales. Suivre plusieurs interlocuteurs en même temps, ou interpréter simultanément des indices verbaux et non verbaux, comme les expressions faciales et le ton de la voix, peut leur poser des problèmes considérables. Leurs difficultés dans ce domaine peuvent donner l’impression d’un désintérêt ou d’un manque d’engagement social, alors qu’il s’agit en réalité d’une limitation attentionnelle. Les interactions en face-à-face, où les exigences attentionnelles sont moindres, sont souvent plus accessibles pour les personnes monotropes.
Hypersensibilité sensorielle : L’hypersensibilité aux stimuli sensoriels, un autre trait courant chez les personnes autistes, peut également s’expliquer par le monotropisme. Les bruits forts, les lumières vives ou d’autres stimuli sensoriels saillants peuvent surcharger un système attentionnel déjà focalisé. Cela rend les environnements riches en stimuli difficiles à gérer et souligne l’importance d’adapter les environnements pour diminuer ces difficultés.
Résistance au changement : S’adapter au changement nécessite de désengager l’attention d’une tâche ou d’une situation pour s’engager dans une autre, ce qui est particulièrement coûteux pour un esprit monotrope. Cela explique la préférence marquée des personnes autistes pour les routines et les environnements prévisibles (le goût pour l’immuabilité), qui réduisent les demandes de réorientation de l’attention. Cette résistance au changement est souvent comprise comme de l’opposition, alors qu’elle peut refléter une stratégie pour maintenir un équilibre émotionnel.
En synthèse, le monotropisme permet de comprendre les comportements autistiques dans leur globalité, en connectant les dimensions attentionnelles aux caractéristiques diagnostiques centrales de l’autisme. Contrairement à d’autres modèles, le monotropisme offre une vision intégrative qui ne se limite pas à un seul aspect du trouble, mais englobe l’ensemble des symptômes, des intérêts spécifiques aux difficultés sociales, en passant par les particularités sensorielles et comportementales.
Données empiriques
Les études sur le monotropisme se développent ces dernières années, tandis que d’autres vont dans le sens de la validation de cette théorie, même si elles n’investiguent pas directement le concept.
Parmi les travaux intéressants à citer, l’étude de Dwyer et al. (2024) présente un intérêt particulier, puisqu’elle a exploré les dynamiques de l’hyperfocalisation et de l’inattention dans différentes populations : les adultes autistes, les adultes TDA/H, et ceux cumulant les deux diagnostics. Elle s’intéresse également aux relations entre ces processus attentionnels, la qualité de vie, et des aspects de la santé mentale comme l’anxiété, la dépression, l’hypervigilance et les ruminations.
L’échantillon de l’étude comprenait 492 adultes répartis en quatre groupes : autisme, TDA/H, autisme et TDA/H, et un groupe contrôle neurotypique. Les participants ont répondu à des questionnaires mesurant l’hyperfocalisation dans divers contextes, l’inattention, la qualité de vie et des dimensions de la santé mentale. L’étude avait pour hypothèses principales que l’hyperfocus serait plus fréquent dans les groupes TSA et TDA/H et que ses effets, positifs ou négatifs, varieraient selon les contextes et les expériences individuelles.
Les résultats ont confirmé que les groupes TSA, TDA/H, et TSA+TDA/H présentaient des niveaux supérieurs d’hyperfocalisation et d’inattention par rapport au groupe contrôle. Comme attendu par les auteurs, l’hyperfocalisation sur des sujets spécifiques était corrélée à une inattention accrue dans d’autres domaines, reflétant une régulation atypique des ressources attentionnelles dans les deux troubles. Parmi les groupes étudiés, les participants cumulant autisme et TDA/H présentaient les niveaux les plus élevés d’hyperfocalisation, notamment dans des contextes stimulants tels que les loisirs.
En ce qui concerne la qualité de vie et la santé mentale, les résultats étaient également conformes aux attentes des chercheurs. Bien que l’hyperfocalisation était associée à une augmentation des symptômes d’anxiété, de dépression, d’hypervigilance et de ruminations, elle était également identifiée comme une source potentielle de bien-être et de satisfaction personnelle lorsqu’elle était alignée avec des intérêts personnels ou professionnels. Les expériences positives d’hyperfocalisation semblent donc partiellement compenser ses effets négatifs en contribuant à la qualité de vie des individus.
Enfin, les résultats mettaient en évidence des différences significatives entre les groupes. Les participants autistes montraient ainsi une forte orientation vers des intérêts spécifiques, souvent intégrés dans des dynamiques sociales ou professionnelles. À l’inverse, les adultes TDA/H rapportaient une plus grande prévalence d’hyperfocalisation dans des activités numériques comme le temps d’écran. Ces différences reflètent des profils attentionnels à la fois comparables et dissemblables dans les deux groupes.
Les conclusions de l’étude insistent sur l’idée que l’hyperfocalisation et l’inattention ne sont pas des opposés, mais des expressions complémentaires d’une régulation atypique de l’attention dans l’autisme et le TDA/H. Bien que l’hyperfocalisation puisse avoir des impacts négatifs, notamment dans des contextes où une flexibilité attentionnelle est nécessaire, elle constitue également une ressource lorsque les conditions environnementales et sociales permettent d’optimiser ses effets positifs.
Principales références
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Benallie, K. J., McClain, M. B., Bakner, K. E., Roanhorse, T., & Ha, J. (2021). Executive functioning in children with ASD+ ADHD and ASD+ ID: A systematic review. Research in Autism Spectrum Disorders, 86, 101807.
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