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Photo du rédacteurNathalie Boisselier

Le gaslighting, la violence invisibilisée

Invisible mais dévastateur, le gaslighting détruit l’intégrité mentale de ses victimes en infiltrant leur quotidien avec doute et manipulation, laissant des cicatrices bien au-delà de la fin de la relation amoureuse.


Image by Drazen Zigic on Freepik



Le terme gaslighting est tiré de la pièce Gas Light de Patrick Hamilton, devenue un film à succès dans les années 1940. L’histoire est celle d’un mari manipulateur qui fait douter sa femme de sa santé mentale en modifiant subtilement des éléments de leur environnement, comme l'intensité des lampes à gaz (gas light en Anglais). Son objectif ? Semer la confusion dans son esprit, la rendre vulnérable et dépendante, tout en maintenant une apparence d’innocence.


Depuis ce film, le gaslighting décrit l’une des formes les plus insidieuses de manipulation psychologique dans le couple, où l’abuseur (le gaslighter) sème le doute chez sa victime jusqu'à ce qu'elle perde confiance en elle et en ses propres perceptions.


Aujourd'hui, le concept de gaslighting est plus d'actualité que jamais, surtout dans le contexte des relations amoureuses dont beaucoup sont le fruit de rencontres via internet. Dans ces rencontres, on ne sait a priori rien de son partenaire qui n’est ni un ami de la famille, ni un ami d’un ami, ni un collègue de travail. C’est certainement la raison pour laquelle le terme gaslighting est devenu un terme courant. Il est souvent mentionné dans les discussions sur la violence psychologique, et a même connu une hausse spectaculaire de 1740% dans les recherches en ligne, au point de devenir le « Mot de l'année » 2022 selon le réputé dictionnaire en ligne Merriam-Webster. En d’autres termes, la signification du mot « gaslighting » est de plus en plus recherchée sur l’équivalent du Larousse anglophone. Cette prise de conscience reflète un besoin croissant de comprendre et de reconnaître ce type d'abus, qui peut détruire progressivement l'intégrité mentale de ses victimes.


Comme l'expliquent Klein et al. (2023), le gaslighting est une méthode subtile mais dévastatrice qui vise à miner la confiance d’une personne en sa propre réalité. L’abuseur emploie des stratégies qui érodent lentement la confiance de la victime quant à ses pensées, ses souvenirs et ses perceptions, tout en maintenant une façade de rationalité. Ce processus peut être si insidieux que la victime se retrouve piégée dans un cycle de confusion et de doute, souvent sans s'en rendre compte. Et surtout sans réaliser que la situation empire de jour en jour.


Ce qui rend le gaslighting particulièrement difficile à identifier, c’est la manière dont il s’intègre dans la dynamique de la relation. Les manipulateurs alternent habilement entre des gestes d’affection et des comportements abusifs, créant un climat où la victime est constamment désorientée. Klein et al. (2023) mettent en lumière l'impact destructeur de ces dynamiques, qui renforcent la dépendance de la victime et la rendent encore plus vulnérable aux manipulations futures.


Les dynamiques relationnelles dans le gaslighting

Les relations où le gaslighting est présent suivent une dynamique spécifique. Cette dynamique inclut des stratégies à long terme utilisées par l'abuseur pour maintenir un pouvoir psychologique sur la victime, mêlant constamment des comportements affectueux et charmeurs aux abus émotionnels. Cette dualité est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles ce type de violence psychologique est si difficile à détecter. Cette complexité est divisée en plusieurs étapes qui se suivent, alternent ou se superposent : le love-bombing, l'isolement de la victime, l'imprévisibilité du comportement de l'abuseur, et l'utilisation du cold shouldering.


Love-bombing : l’amorce trompeuse

Le love-bombing est une stratégie utilisée par l'abuseur au début de la relation pour submerger la victime d'affection, d'attention et de cadeaux, créant une atmosphère de rêve où tout semble parfait. Ce stade est crucial, car il permet à l'abuseur de construire un lien émotionnel puissant avec la victime, rendant plus difficile pour elle de quitter la relation une fois que les abus commencent.


Les témoignages recueillis par Klein et al. (2023) décrivent cette phase comme excessivement romantique et enivrante. Par exemple, une participante de l’étude explique que son partenaire lui a déclaré son amour après seulement trois jours. Un autre rapport décrit des gestes impressionnants, comme offrir des bijoux coûteux ou organiser des dîners somptueux dès les premières semaines de la relation. Ce comportement crée une dépendance émotionnelle : la victime commence à associer l'abuseur à des sentiments intenses de bonheur et de validation, ce qui la rend vulnérable pour la suite.


Le love-bombing ne se limite pas à des cadeaux matériels. Il peut aussi inclure des discussions profondes et des échanges intimes, comme des échanges SMS incessants, où l'abuseur semble sincèrement intéressé par les pensées et les émotions de la victime. Cela peut amener la victime à croire qu'elle a trouvé quelqu'un qui la comprend comme personne d'autre ne l'a jamais fait. Cependant, ce qui semble être une connexion authentique s'avère être une manipulation, une manière de rendre la victime plus malléable.


Isolement : la coupure progressive des liens

Une fois que la victime est investie émotionnellement, l'abuseur commence à l’isoler de son réseau de soutien. Ce processus d'isolement se déroule de manière subtile, parfois sous le couvert de préoccupations légitimes. L'abuseur peut critiquer les amis de la victime, insinuant qu'ils sont nuisibles ou qu'ils ne l'apprécient pas réellement. Il peut également se montrer jaloux et possessif, amenant la victime à réduire progressivement ses interactions sociales pour éviter les conflits.


Ce qui est « intéressant » dans cette stratégie, c’est que l’abuseur n’exige pas directement que sa victime abandonne ses relations, sa famille, ou ses sorties. Au contraire, les données qualitatives de Klein et al. (2023) montrent que cet isolement est souvent présenté comme un acte de protection par le gaslighter. Il peut dire, par exemple, qu'il ne veut que le meilleur pour la victime et qu'il se soucie de son bien-être, ce qui rend ses critiques envers ses amis ou sa famille difficiles à contredire. Une participante a rapporté que son partenaire lui disait constamment que ses amis parlaient mal d'elle dans son dos, ce qui l'a amenée à couper les ponts avec eux.


Avec le temps, cet isolement ne fait pas seulement perdre à la victime ses relations sociales ; il la prive également de perspectives extérieures et même d’une porte de sortie. Elle n'a plus personne pour remettre en question la vision déformée de la réalité que l'abuseur lui impose. Elle n’a plus personne chez qui se réfugier si elle décide de quitter un domicile commun, ou pour l’aider à déménager ses affaires ou lui tendre une main financière secourable. Ce manque de soutien extérieur renforce la dépendance de la victime envers l'abuseur, créant un cercle vicieux qui est difficile à briser.


L’imprévisibilité : le pouvoir de la confusion

L'une des armes les plus puissantes d'un abuseur est l'imprévisibilité. Les victimes de gaslighting décrivent fréquemment un partenaire dont les comportements oscillent entre des démonstrations d'affection et des accès de colère ou d’indifférence. Cette imprévisibilité laisse la victime dans un état de confusion constant, ne sachant jamais à quoi s'attendre. En effet, les périodes d’affection, de colère ou d’indifférence ne sont pas forcément liées à des faits précis, ou peuvent être liées à des faits anodins (par ex., avoir été aimable avec un livreur). L’abuseur peut donc alterner sans raison apparente. Cela crée une dynamique où la victime devient hypervigilante, essayant de deviner ce qu'elle pourrait faire, dire, ou ne pas dire, pour éviter la colère de l'abuseur.


Cette imprévisibilité ne se limite pas aux émotions ; elle peut inclure des changements dans les attentes ou les « règles » de la relation. Un jour, l'abuseur peut être adorable et romantique, promettant de ne plus jamais causer de disputes, et le lendemain, il devient froid et distant sans explication. Un exemple frappant donné par une victime est celui d'un partenaire qui passait d'un comportement aimant à des accusations infondées et des insultes, la laissant constamment sur ses gardes. Cette alternance imprévisible rend la victime dépendante de l'abuseur pour maintenir un semblant de stabilité.


Cold shouldering : le silence comme punition

Le cold shouldering, ou l'ignorance intentionnelle, est une autre tactique utilisée pour contrôler la victime. Lorsqu'elle essaie de discuter d'un problème ou de s'exprimer sur un sujet qui lui tient à cœur, l'abuseur peut l'ignorer complètement, la laissant avec un sentiment d'insignifiance et de solitude. Cette punition par le silence peut durer des heures, voire des jours, et sert à punir la victime pour avoir osé remettre en question l'autorité de l'abuseur.


Par exemple, Klein et al. (2023) rapportent le témoignage d'une victime qui a décrit un partenaire la fixant avec un regard rempli de haine avant de cesser toute communication, la laissant se débrouiller seule avec sa détresse émotionnelle. Cette technique fait comprendre à la victime que ses sentiments ne sont pas valides et que tout désir de résoudre un conflit est inapproprié, renforçant ainsi son sentiment de dépendance.


Les tactiques spécifiques de gaslighting

Les tactiques employées dans le gaslighting pour mettre en œuvre les dynamiques relationnelles précédemment décrites sont variées, allant des attaques frontales aux manœuvres plus subtiles. Chaque tactique est conçue pour semer le doute, déformer la réalité et diminuer l’estime de soi de la victime. Par ailleurs, ces tactiques sont des comportements ciblés et intentionnels.

 

Accusations d’incompétence épistémique

La tactique la plus évidente est de faire croire à la victime qu’elle est irrationnelle, « folle », ou trop émotive. Les abuseurs utilisent ces termes de manière répétée pour affaiblir la confiance de la victime en sa propre perception de la réalité. Ces accusations peuvent être directes, comme lorsqu'un partenaire qualifie sa compagne de « paranoïaque » parce qu’elle soulève une inquiétude, ou plus subtiles, par exemple en insinuant que la victime exagère toujours les choses.


Dans certains cas, ces accusations sont formulées comme des préoccupations bienveillantes, ce qui rend la manipulation plus difficile à identifier. Par exemple, un abuseur peut dire : « Je m'inquiète pour toi parce que tu deviens vraiment irrationnelle quand on aborde ce sujet », en prétendant se soucier de la santé mentale de la victime, tout en remettant en question ses perceptions.


Retourner les accusations

Une autre tactique courante est de renverser la situation lorsqu'un problème est soulevé. Si la victime critique un comportement de l'abuseur, celui-ci détourne la conversation pour mettre l'accent sur une faille supposée de la victime. Par exemple, si la victime se plaint d'un manque de communication, l'abuseur peut répliquer en accusant la victime d'être trop exigeante ou de ne pas comprendre ses propres besoins. Cela laisse la victime confuse et incertaine, s'excusant souvent pour des choses qui ne sont pas de son fait.

Un autre exemple, est l’abuseur qui questionne le moindre contact social de la victime en soupçonnant qu’il y ait une intention sexuelle. Mais dans le même temps, cet abuseur peut entretenir des conversations tendancieuses par messagerie avec ses propres collègues de travail. Si la victime s’en émeut ou demande des explications, l’abuseur l’accuse de jalousie morbide et de paranoïa.


Blâmer de manière injustifiée

Les gaslighters sont passés maîtres dans l'art de blâmer leurs victimes pour tout et n'importe quoi. Même des incidents mineurs ou des événements accidentels peuvent être amplifiés attribués à la victime, renforçant son sentiment de culpabilité et d'inutilité. Klein et al. (2023) rapportent le cas d'une participante dont le partenaire lui reprochait des problèmes techniques avec des appareils électroménagers (qu'elle dérèglerait parce qu'elle ne sait pas s'en servir correctement) ou lui faisait porter la responsabilité de ses propres infidélités, en affirmant que son comportement avait poussé l'abuseur dans les bras d'une autre.


Ce blâme constant laisse la victime dans un état de doute permanent, où elle se demande si elle est réellement à l'origine de tous les problèmes de la relation. Cela peut éroder son sens de la réalité, la rendant plus facile à contrôler.


Induire le doute par des mensonges subtils et de la désinformation

Le gaslighting peut également inclure des mensonges répétés ou des contradictions qui laissent la victime désorientée. Parfois, l’abuseur peut nier des événements qui ont clairement eu lieu, ou affirmer qu'une chose n'a jamais été dite. Par exemple, il peut nier avoir fait une promesse importante, ou déformer des souvenirs communs, amenant la victime à douter de sa propre mémoire. Ce processus graduel et persistant sape la capacité de la victime à faire confiance à son propre jugement.


L'un des aspects les plus insidieux de cette tactique est que les mensonges ne sont pas toujours flagrants. Ils peuvent être mélangés à des vérités partielles, ce qui rend plus difficile pour la victime de discerner la manipulation. Parfois, l'abuseur peut semer le doute en suggérant qu'un événement a été mal interprété, créant ainsi une ambiguïté qui maintient la victime dans un état d'incertitude.


Conclusion à propos des tactiques employées

Ces différentes tactiques ne sont pas utilisées de manière isolée ; elles sont souvent combinées pour maximiser l'impact psychologique sur la victime. L'objectif est toujours le même : affaiblir la perception de soi de la victime, la rendre dépendante de l'abuseur et maintenir un contrôle sur elle. Ce qui rend le gaslighting particulièrement destructeur, c'est l'érosion progressive de la confiance en soi, qui laisse des traces durables même après la fin de la relation.


Les motivations des abuseurs

Qu'est-ce qui pousse quelqu'un à gaslighter son partenaire ?


Klein et al. (2023) identifient deux motivations principales : l'évitement de la responsabilité et le contrôle des comportements de l'autre. Ces motivations ne sont pas mutuellement exclusives et peuvent se manifester de manière combinée. Par exemple, un partenaire infidèle pourrait utiliser le gaslighting pour éviter d'assumer la responsabilité de son adultère tout en cherchant à contrôler les interactions sociales de la victime pour empêcher la découverte de ses tromperies.


Il est important de noter que, contrairement aux idées reçues, le gaslighting n'est pas toujours motivé par un objectif concret, comme l'acquisition de biens ou d'argent. Souvent, le but est plus diffus, comme le maintien d'un pouvoir psychologique sur la victime ou l'affirmation d'une domination relationnelle. En d'autres termes, l'origine du gaslighting est un trouble de la personnalité sévère du gaslighter.


Conséquences psychologiques pour les victimes

Les effets du gaslighting sont insidieux et profonds. Une perte de confiance en soi, une dégradation de l'image de soi, et un sentiment persistant d'être « brisée » sont des conséquences rapportées par de nombreuses victimes. Certaines décrivent comment elles en viennent à se voir comme une coquille vide, privée de vitalité, d’un sens de l’identité (ne plus savoir qui on est), et du sens que la vie a un sens. Ces difficultés peuvent conduire à des symptômes dépressifs, de l'anxiété, et une incapacité à faire confiance aux autres.


Pour d'autres, l'impact se manifeste par de la méfiance envers autrui et un isolement social prolongé, même après la fin de la relation abusive. Une participante a décrit comment, des années après, elle restait réticente à s'engager dans des relations sociales, préférant les activités solitaires.


Voies de rétablissement et croissance post-traumatique

La guérison du gaslighting est un processus long et complexe, mais il existe des chemins vers le rétablissement. Klein et al. (2023) soulignent l'importance de la séparation physique et émotionnelle de l'abuseur comme première étape essentielle. Cependant, la seule distance ne suffit pas toujours ; un soutien social fort et des activités qui reconnectent la victime à elle-même sont essentiels.


Un soutien psychologique à travers une psychothérapie s’impose souvent, tout comme des groupes de parole au sein d’associations de victimes de violences conjugales peuvent aider. Des activités « réincarnantes » comme le yoga, la méditation ou le sport peuvent aider les victimes à se réapproprier leur corps et leur esprit. D'autres trouvent une voie de guérison dans des activités créatives comme l'écriture ou l'art, qui permettent d'exprimer ce qui est difficile à verbaliser. De plus, des récits de croissance post-traumatique émergent parfois, avec des survivants qui disent avoir acquis une clarté et une force intérieure nouvelles, ainsi qu'une capacité à établir des limites plus saines.


Conclusion

Le gaslighting est une forme de violence psychologique subtile mais destructrice, qui nécessite une reconnaissance et des interventions cliniques appropriées. L'étude de Klein et al. (2023) offre une base pertinente pour mieux comprendre ce phénomène et les besoins uniques des victimes en termes de soutien et de guérison.



Etude de référence

Klein, W., Li, S., & Wood, S. (2023). A qualitative analysis of gaslighting in romantic relationships. Personal Relationships, 30(4), 1316–1340.

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